—246— I soutenir le génie qui t'exalte? Quels étranges et grandioses poèmes, quelles œuvres sublimes en sortiraient, si la parole n'était pas quelquefois impuis sante ! Mais le cerveau de l'homme est trop faible pour soutenir la lutte. Et un bruit quelconque, une voiture qui passe, un voyageur qui se hâte, rappel lent le poète à la réalité implacable de la vie. François Accinelli LETTRE A M. ANATOLE FRANCE l 'est à vous que j'adresse cette lettre, Monsieur, mais ce n'est pas à vous que je l'écris. Il est probable, d'ailleurs, que ces lignes ne tomberont jamais sous vos yeux, car, s'il est de règle, selon la politesse ordinaire, qu'on fasse parvenir aux auteurs les gazettes où il est- question de leurs œuvres, il me semble que, dans l'occasion présente, la politesse suprême m'interdit de vous envoyer réellement cette lettre. Je viens, longtemps après d'autres, de lire Thaïs. Il n'y a que les méchants romans qu'il faille lire à leur heure. Les bons viennent toujours de paraître, et ils ne cessent jamais d'être actuels. Avant cette lecture, Monsieur, je vous connaissais un peu, par vos poèmes, par vos Noces Corinthiennes, et par vos articles du Temps. Vos vers me semblaient beaux, quoique parnassiens, — comme ne manqueraient pas d'ajouter certains de mes jeunes confrères, qui s'imaginent qu'un mauvais poème est nécessairement parnassien lorsqu'il est composé en vers de douze pieds, avec des rimes plus fortunées que hallebarde et miséricorde1. — et comme peut-être vous l'ajouteriez vous-même, si vous pensiez un mot de votre article sur M. Jean Moréas! Pardonnez-leur, Monsieur, ainsi qu'à vous. Ils ne savent pas ce qu'ils écrivent, et vous, vous le savez trop! Quant à vos études du Temps, je les détestais à plein cœur, et je les déteste encore. Votre critique a beaucoup de science, de grâce et d'esprit, mais elle est punique, et c'est de Carthage que vous devriez dater vos articles. Vous pre nez un singulier plaisir à contredire, avec des raisons élégantes et boiteuses, — comme La Vallière! — la justice et la vérité. Quand une chétive grenouille pousse un pauvre brè-kè-kè-koax, vous la recueillez, vous l'adoptez, vous la gonflez, et vous dites à vos clients : « Voilà le bœuf le
