Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/265

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—257— A les bien regarder, ces personnages sont tous inconscients et involon taires. L'absence de conscience et de volonté domine tout le drame. Le vieux roi Arkel parle au nom de tous lorsqu'il dit : « Je suis très vieux et cependant je n'ai pas encore vu clair un instant en moi-même; comment voulez- vous que je juge ce que d'autres ont fait ? Il a dépassé l'âge mûr et il épouse, comme un enfant, une petite fille qu'il trouve près d'une source. Cela peut nous paraître étrange, parce que nous ne voyons jamais que l'envers des destinées Il n'arrive peut-être pas d'événements inutiles ». L'INCERTITUDE et sa conséquence FlRRÉSOLUTlON, forment le fond général du drame. « Je ne sais pas » et « qu'allons-nous faire? » sont les paroles qui y retentissent le plus souvent. Ainsi les hommes sont de pauvres aveugles errant dans les ténèbres pleines d'épouvantements. Qui ne recon naît ici l'idée dominante de M. Maeterlinck, celle qui traverse impitoyable ment toutes ses œuvres, depuis les Serres chaudes jusqu'à son dernier drame? C'est de là que découle la terreur profonde qui règne dans ces sombres tragédies. Que dirai-je de la mise en scène de Pelléas et Mélisande? Elle témoigne d'une imagination merveilleuse. Il n'existe pas beaucoup de visions aussi poétiques que la rencontre de Golaud et Mélisande dans la forêt, la pre mière conversation de Mélisande et Pelléas au bord de la fontaine, l'idylle nocturne au pied de la tour, les descentes de Pelléas dans la grotte et dans les souterrains du château, et tant d'autres scènes qu'il faudrait citer. La langue du drame est extrêmement simple. Il y a encore quelque abus dans les répétitions de mots et de morceaux de phrases, mais cet abus tend à disparaître. M. Maeterlinck se rendra compte qu'il ne peut trouver là qu'un effet matériel et superficiel qui sera vite usé. Cette très minime critique est la seule que nous nous croyions en droit d'adresser à l'auteur de Pelléas et Mélisande. IWAN GlLKIN