Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/27

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—i9— Avec des fleurs et des jardins Et des oiseaux incarnadins ; De beaux rideaux si doux de joie, Aux mornes fronts profonds Qu'on roule en leurs baisers de soie. Les miens, ils sont hargneux de leurs chimères, Ils sont, mes grands rideaux, couleur de cieux, Un firmament silencieux De signes fous et de haines ramaires. A quoi riment leurs traînes et leurs laines ? Mon âme est une proie Avec du sang et de grands trous Pour les bêtes d'or et de soie ; Mon âme, elle est béante et pantelante, Elle n'est que loque à morsures Où ces bêtes, à coupables armures D'ailes en flamme et de rostres ouverts, Mordent leur faim par au travers. A quoi riment les tissus et les laines Pour y rouler encor mes peines ? Les jours des douleurs consolées, Avec des mains auréolées, Et la pitié comme témoin, Ces jours de temps lointains, comme ils sont loin! Mon âme est désormais : celle qui s'aime A cause de sa douleur même, Qui s'aime en ces lambeaux Qu'on arrache d'elle en drapeaux De viande rouge. Les chimères de soie et d'or qui bouge, Qu'elles griffent les laines De mes rideaux à lentes traînes, Il est trop tard pour que ces laines Me soient encore ainsi qu'haleines. ÉMILE VERHAEREN