Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/274

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—266— L'émotion redouble. Dans la foule des spectateurs les cœurs demeureront étreints jusqu'à la fin de la lutte. L'intérêt se concentre sur Luttérath et sur Krawinkel ; tous pressentent que la partie va se décider entre ces deux clochers rivaux, ou mieux entre leurs chefs Willem yogelsang et Frans le Borgne. Geleen ne donne plus que mollement ou n'intervient que pour contrarier le plus favorisé des deux champions. On approche de la période critique. Quelque crispantes qu'aient été les péripéties auxquelles les spectateurs ont assisté jusqu'à présent, ils appré hendent, vaguement terrifiés, qu'il va se livrer entre Willem et Frans un assaut impitoyable, un véritable duel à mort. La mêlée est telle que les deux armées ne semblent former qu'un seul noyau de plus en plus compact, une masse grouillante galvanisée par deux fluides contraires qui la galopent d'un bout à l'autre de l'arène. A peine l'effort collectif des compagnons de Willem a-t-il fondu la cohue furieuse vers le cimetière, qu'un remous, en sens contraire, provoqué par toutes les forces du Borgne, projette brusquement cette trombe humaine jusque sous le balcon du Grand Cygne. On dirait des béliers battant les remparts d'une place assiégée. Les maisons en tremblent dans leurs fonda tions. On entend craquer les os des joueurs presque broyés contre les murailles. D'aucuns y laissent l'étoffe de leurs vêtements, la peau de leurs mains et de leurs genoux. Puis c'est un mouvement oblique. Place à l'ou ragan! Un arbre se trouvait sur leur passage. Le voilà par terre et ils sont déjà loin quand les gamins qui le couronnaient ont à peine fini de se ramasser. Auront-ils aussi facilement raison de ce corps de ferme qui leur barre l'angle de la place? Gare là-dessous! Un grand fracas domine la clameur et le grondement continu des adeptes du korsbrood. La porte charretière vient d'être défoncée sous la poussée des joueurs. Patatras! Elle s'écroule avec les deux piliers maçonnés qui l'encadrent. C'est miracle qu'aucun des casse-cou ne soit écrasé. Ils n'ont garde d'interrompre le jeu. A qui le korsbrood? Tel est leur unique souci. Attention, dans la cour est une mare gelée. Bon, voilà que tous s'engagent sur la glace. Crac! elle cède sous leurs pieds On les voit barboter jusqu'aux genoux dans la vase. Ils s'en aperçoivent à peine et ils sortent de l'eau ruisselants, contusionnés, meurtris, sans que leur attention ait été détachée un seul instant de l'objet de cette lutte à outrance. Rien ne pourrait les rebuter : La bourgade viendrait à flamber, le tocsin les appellerait au secours, un cercle de feu les entourerait, qu'ils n'en auraient cure et l'incendie ne leur représenterait tout au plus qu'un nouveau compétiteur sur lequel il faudrait gagner le korsbrood en le ravissant aux étreintes de la fournaise!