Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—27o— Willem Vogelsang pour roi, comment se fait-il que lui seul demeure con fondu, morne, comme honteux et embarrassé de son triomphe? Qu'il soit harassé par les efforts, abasourdi par ce brusque changement de fortune, on le comprend, mais du moins sa physionomie pourrait-elle exprimer l'or gueil et la félicité! Or, c'est presque de la désolation et de la crainte qui se lisent dans ses traits! Et, lorsque la radieuse Isa, en personne, s'avance vers lui, à la tête du cortège des notables, la coupe de cidre à la main pour être la première à porter la santé du roi de Luttérath, du glorieux roi dont elle deviendra la reine, il fait presque le geste de repousser cette coupe de victoire; c'est à peine s'il répond par un inintelligible balbutiement aux félicitations passion nées de son élue. C'est avec une ostensible répugnance qu'il boit au vase auquel ont cependant trempé les lèvres suaves d'Isa. Tel est même l'inqua lifiable accueil de Willem que la débordante jubilation d'Isa reflue en glaçons vers son cœur. Au moment où elle va demander au fiancé l'explication de cette humeur, Frans le Borgne accourt et interpelle les magistrats : « Halte-là ! Qu'on ne remette pas encore la couronne à Willem Vogelsang. Ce serait une usurpation. La partie n'a pas été loyale II y a du louche là-dessous. Ce particulier, tombé comme de la lune au moment où Luttérath succombait une nouvelle fois, avait-il le droit de prendre parti contre nous? Peut-il prouver qu'il est né à Luttérath? Appartient-il seulement à ce pays? Quel est son nom ? — Frans a raison! Que l'étranger se fasse connaître! approuvent les joueurs de Krawinkel. Willem sursaute et semble recouvrer sa présence d'esprit. — Un instant, dit-il, je veux interroger moi-même cet homme ! et il entraîne l'inconnu à quelques mètres de là; puis d'une voix sourde : — Toi, ici, toi, malheureux ! — Moi-même! — Mais c'est la mort! — C'est la vie, pour toi, c'est ton salut! Ne m'avais-tu pas écrit! Méchant, tu m'as cru capable de rester là-bas et d'attendre les bras croisés la nouvelle de ton mariage ou de ton enterrement. Puis, je n'en pouvais plus, le mal du pays me consume et, supplice pour supplice, je préfère la façon dont on va m'expédier ici. Oui, j'ai voulu en finir avec ma vie de proscrit, en te sauvant, toi, mon cher Willem, le meilleur des deux fils Vogelsang, le seul soutien qui reste à notre mère... — O! ne parle pas ainsi. Le meilleur des deux c'est toi. Tu le prouves