Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/279

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—271— en cet instant même. Ton crime ne fut qu'un accident. Ta colère était juste. A ta place, chacun en eût fait autant... Et maintenant, pars, va-t'en!... Laissons le prix à ce braillard de Krawinkel... l! le mérite mieux que moi. — Laissons aussi à ce Borgne la main d'Isa Borlinck? — Oui, au besoin je lui abandonne Isa... Dépêche-toi de partir. D'autres que moi t'ont reconnu sans doute. Si les gendarmes étaient prévenus de ton retour... — N'importe. Je les attends de pied ferme... Laisse-moi faire. J'ai gâché ma vie, te dis-je. Je veux mourir au pays. L'agonie est trop cruelle à l'étranger... On y meurt deux fois. — Tu nous mentais donc, à notre mère et à moi, lorsque tu écrivais que tout allait bien là-bas, et que tu vivais résigné et presque heureux chez les Français... Non, c'est à présent que tu veux nous tromper. C'est pour moi, pour moi seul que tu mourrais... Longtemps ce combat de générosité se prolonge. Autour d'eux on s'im patiente et on murmure Qu'ont-ils donc, ces deux, à débattre ainsi ? Y aurait-il eu réellement tricherie, comme le prétend Frans? Ceux de Lutté- rath perdent de leur belle assurance, tandis que Krawinkel relève la tête. Frans le Borgne se frotte les mains. Isa souffre plus encore que tout à l'heure, au balcon. — O pitié, ne parle pas si haut ! fait Willem à son frère, chaque fois que celui-ci élève la voix . Et il leur faut se retenir, faire un effort terrible, se contraindre au point de s'en bourreler la chair, pour ne pas se jeter dans les bras l'Un de l'autre. Et les lèvres leur démangent, et leurs entrailles frémissent, et toutes leurs fibres vont éclater. Et leurs voix s'humectent et se troublent autant que leurs prunelles. — Qu'importent... tu m'entends, n'est-ce pas, cher Alm? — la belle Isa et toutes les belles de ce monde! Aucune femme ne te supplantera, mon doux aimé, mon propre sang, ma chair unique, mon autre moi-même!... Va, même si tu persistais à te trahir, sache bien que ton sacrifice serait inutile. Je ne veux plus de cette couronne, je ne veux plus de la vie, je ne veux plus de mon Isa !... Meurent plutôt alors moi-même, Isa, Luttérath et tout le monde avec nous ! Et il se précipite vers le peuple et s'écrie : « Frans le Borgne a raison. Il y a eu tricherie. Celui-ci est un étranger et un intrus. Que Frans et Krawin kel gardent le korsbrood! Honneur à Frans! » Mais, écartant son frère, Alm Vogelsang arrache d'un geste brusque sa barbe et sa chevelure postiches; puis, se frappant la poitrine :