Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—28o— tions d'ordre physique — nourriture, exercice, sommeil — inspirées des règles monacales et visant, selon le joli latin ecclésiastique : minuere mo- nacum, à diminuer le moine; puis, enfin, comme le tempérament de feu n'en était point réduit, il lui recommanda le mariage. Ceci donna quelque inquiétude au neveu. Il parut approuver l'avis du presbytère, mais observa qu'il faudrait des papiers, que les vieilles affaires allaient être exhumées, que peut-être les gendarmes. . . Il était d'ailleurs assez inutile de dissuader Rouvet, car si le conseil du prêtre était excellent et lui avait paru tel d'enthousiasme, il était d'une exécution malaisée. Se marier? Certes, il ne demandait pas mieux, le valétudinaire ; mais où trouver la fiancée? Deux ou trois tentatives le convainquirent bientôt de l'inanité de son espoir et l'irrémédiable enfer le posséda de nouveau. Le neveu redoutait une maîtresse : quelque intrigante facilement s'empa rerait de cette âme vaillante et torturée, et l'héritage alors? Il recom manda à ses fillettes de surveiller le vieil oncle, de lui rapporter s'il parlait à des femmes. Les enfants — treize ans, dix ans — s'attachèrent aux pas du vieillard. Jusque-là, il les avait évitées, avec l'épouvante de l'autrefois, craignant ces petites têtes inconnaissables élaborant avec une si parfaite astuce, une si incroyable candeur, des accusations terribles. Pourtant, ces petites, c'était son sang, ce qui lui restait de famille encore : il ne lui était pas permis de se désintéresser d'elles. Il les laissa venir aux champs rire autour de son travail ; parfois, il les prenait par la main pour quelque pro menade ; d'autres fois encore, elles lui faisaient raconter des histoires, lui posaient d'incessantes questions. Il s'amusait de leur gaieté puérile ; mais à certains moments, il voulait être seul, il les écartait quand ses rages char nelles ravageaient son être désemparé. Les petites, perverses et précoces, eurent vite remarqué les troubles du grand oncle et devinèrent, sans effort, pourquoi son teint s'empourprait, son œil devenait hagard et sa main trem blante. Et elles mirent quelque malignité à provoquer ces crises. L'aînée surtout savait des chatteries, de félines interrogations qui bouleversaient le vieillard. Elles étaient toutes deux singulièrement érudites au sujet des rap ports des sexes et elles se plaisaient à faire glisser la causerie vers des audaces scabreuses. Pour elles, il redevint enfant et dévergondé. Ces maigres vauriennes le dépravèrent, lui firent connaître la saveur du simple péché de parole, le plaisir mauvais de proférer des mots obscènes. C'était, à son vice, une satisfaction illusoire. Puis, par un soir orageux, où des pâmoisons traînaient dans l'atmo sphère, sous la tonnelle fleurie, les fillettes voulurent voir. Et le vieux leur