Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/31

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—23- des créneaux, les croissants hérétiques; et il traversa des déniés de rochers qui lui parurent magnifiés par les souvenirs d'anciens miracles. Se repo sant sous les palmiers, il se lavait à des sources baptismales du sable des déserts qui souillait son front et mangeait des dattes et des grenades fraîches comme les glaces du Nord. Après avoir erré longtemps ainsi par des routes que seul le soleil traçait à travers des terres inconnues, Euthée se trouva dans une plaine d'une douceur et d'une clarté infinies. Et il s'arrêta surpris, car le spectacle était magnifique : Des parcs de buis, aux bosquets disposés sur des pentes de clairs gazons et pleins de fleurs, faisaient une immense ceinture à une ville bâtie en or, pareille à un gigantesque trésor de cathédrale, brillante et silencieuse comme un astre arrêté dans son orbe. Quelques sentiers couraient sur le flanc émeraudé de collines plantées de rosiers ; des ifs pleins de ferveur se dressaient sur des prés ondulants aux reliefs aussi mois que les vagues alanguies des jours qui suivent les orages ; des sapins aux aiguilles enchantées par la lumière prenaient des airs de fête aérienne ; et des lisières lointaines simulaient des roues de paon tout émerveillées. Dans le fond, la cité étageait des tours pensives et des tourelles : on eût dit des masses d'or tombées du firmament, glorieuses des messes chantées et des pompes célestes, et qui étaient comme toutes les anciennes prières magnifiquement condensées dans les trésors gardés par les archanges. Des clochetons, flanquant les tours, étaient précieusement ouvrés sur un ciel saupoudré de carat et tout vibrant des flèches que les toits radieux et les beffrois illustres lançaient à son infini resplendissant. Euthée descendit vers la ville par un chemin très doux. Celui-ci passait entre des vignes et des buissons où s'offraient des raisins, des mûres et des marguerites. Cette route était vierge, soignée par un jardinier mystérieux et prudent qui entretenait la fraîcheur adamantine des plantes et laissait les amènes gazons se parsemer de fleurs. On devinait qu'en un jadis de piété extrême s'y étaient promenées, en devisant des joies canoniques du martyre, de grandes saintes en robe de soie ou de velours, caressant de leurs mains pâles les papillons des roses. Peut-être ces princesses aux yeux d'agneau et à la plate poitrine s'étaient-elles assises sur des trônes, au milieu de ces arbustes qui exhalaient encore leurs parfums bienheureux d'encens, de laurier et de buis, — tandis que là-bas quelque blanc saint Georges, près d'un moulin à eau, perçait de sa lance un dragon crachant des flammes, et que ces tours maintenant aurces murmuraient aux saintes les matines de leurs carillons.