Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/32

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—24— Mais dans ce spectacle sans égal tout était muet. Le moindre souffle ne vivifiait les branchées ; nul rossignol et nulle fauvette. Euthée s'étonnait de ce silence plus profond que celui d'une abside et plus grave que les calmes hermétiques qui ensommeillent les océans assoupis. Comme il était très pieux, il avait joint les mains sur la bure blanche de sa poitrine et marchait ainsi lentement, pénétré de l'aspect extraordinaire des choses, sur un sol qu'avaient probablement foulé jadis les héros des légendes dorées. Nulle trace de ses pas ne restait sur le sable du chemin ; les bouquets de buis lui paraissaient d'énormes encensoirs, et au loin, à travers la plaine magique, autour de la Cité Morte dans l'Or, l'horizon s'enivrait toujours de poussières de joyaux et il semblait que des éventails magnifiques se fussent arrêtés dans un couchant de pierreries à bercer le rêve énigmatique du zénith. Euthée fut bientôt aux portes de la Ville. Les murailles étaient givrées d'intailles et se miraient dans une eau noire de passé et qui paraissait fatiguée, comme l'œil d'un vieillard où s'obscur cissent les choses, de réfléchir un ciel aussi pur et des pierres aussi merveil leuses. Des nénuphars, tels qu'on n'en vit jamais dansjles plus prestigieux contes de fée, éclairaient cette mort de l'onde, parmi de vagues et profonds reflets d'or. La porte par où Euthée pénétra dans la cité était rayonnante et triom phale comme une porte de paradis Avait-elle été bâtie par des anges? Mais les rues étaient également éblouissantes, d'ailleurs. Les maisons et les monuments dont elles étaient bordées, s'élevaient pareils à de grandes châsses qui mordaient l'azur de la bijouterie de leurs tourelles, et dont les reliefs, représentant des anges, des martyrs et des évêques, s'accusaient avec de chaudes vigueurs d'ambre, le long des voies précieuses ainsi meublées d'opulents reliquaires. Les enseignes de ces demeures, scellées d'extraordi naire, rivalisaient en art avec les plus fiers camées. Certaines toitures, ourlées de dentelles aurées, étaient enluminées de blancs séraphins, musi ciens de rosaces peintes à délicats pinceaux, à l'instar des pages des missels ; d'autres s'échauffaient de rouges de cire en fusion, et servaient à rehausser l'éclat et la finesse de leurs voisines. Toutes ces façades étaient d'une richesse inouïe et faisaient songer, par leur style sévère en même temps que royal, aux périodes les plus sombres et les plus fanatiques des chrétientés, et aussi aux clairs et pieux travaux des moines, dont les artistes mains cares