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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/318

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—3iD— même pièce) : « Je suis un véritable Parisien ». Mais qui le croira» Surtout qu'il prend soin d'ajouter aussitôt : « Je suis Un habitant de Vienne, Saint- Pétersbourg, Berlin, Constantinople ; — Je suis d'Adélaïde, de Sydney, de Melbourne ; — Je suis de Londres, de Manchester, de Bristol, d'Edimbourg, de Limerick; — Je suis de Madrid, de Cadix, de Barcelone, d'Oporto, de Lyon, de Bruxelles, de Berne, de Francfort, de Stuttgard, de Turin, de Florence ». ... Arrêtons-nous, pour ne pas aller avec l'auteur jusqu'à « Irkoutsken Sibérie et dans plusieurs rues d'Islande ». Nous pourrions citer encore quelqu'une des pièces que M. Sarrazin déclare admirables, celle, par exemple, qui est intitulée : O étoile de France ! On y voit la France qui est à la fois une étoile et un bateau, une étoile crucifiée, à laquelle l'auteur accorde un certificat de bonne conduite : l'étoile-bateau a, dans toutes ses fautes, toujours eu un but haut placé, elle ne s'est jamais vendue, elle se réveille, pleurante, de sa mauvaise ivresse, elle â des sœurs, elle déchire ceux qui la déshonorent, enfin elle ne veut pas porter de chaînes. On conviendra que ces actes sont bien extraordinaires pour une étoile et même pour un bateau. On avouera aussi que ce n'est pas à Whitman qu'il faut demander un peu de suite dans les images. Quant à celles qu'il emploie, nous ne sommes pas assez yankees pour en apprécier l'originalité ni la vigueur. Telle est l'œuvre qu'on nous propose comme le plus beau spécimen de la poésie de l'avenir. Laissons cet avenir aux « Américains d'Amérique » et aux Barnums d'Europe; ne prenons point les vessies pour des lanternes ni l'œuvre de Whitman pour une œuvre d'art. Et quand nous tournerons les yeux vers le Nouveau -Monde, que ce soit pour saluer avec une inaltérable vénération l'un des plus purs artistes qui aient jamais honoré la poésie : Edgar Poe est le fils le plus sublime de l'Amérique. On se demande avec étonnement comment le peuple qui a eu l'honneur d'enfanter l'un des plus merveilleux artistes de ce temps, a pu oublier les hautes leçons d'esthétique qu'il avait reçues de lui et s'amouracher follement d'un écrivain doué d'un style de peau-rouge. Walt Whitman n'a-t-il donc aucune valeur littéraire? Il reste un cœur chaud, une tête puissante mais encombrée. On peut l'admirer pour ce qu'il a voulu dire sinon pour ce qu'il a dit. Nous reconnaissons d'ailleurs que ce sauvage a parfois le charme profond de la sauvagerie : un sentiment intense da la nature, une émotion profonde devant la grandeur de l'univers, une sorte d'ivresse panthéiste qui suscite la sensation de l'immensité du monde et des espaces. En finissant, nous renouvelons cet aveu : nous ne connaissons guère l'œuvre de Walt Whitman que par des traductions éparses. Si un jour une traduction complète nous amenait à changer de sentiment, nous saunons