Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/320

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—3l2— pour le moment. Lui qui mordait la vie à si belles dents, et pour qui tout abstracteur de quintessence semblait un malade, sonne maintenant, tout comme un autre, l'illusion de la gloire et de l'amour, et nous avertit que Dans son âme d'ennui jamais ne s'élève Le désir d'un désir ni le rêve d'un rêve! et s'insurge contre « l'éternel fardeau des réalités vaines ». Le revirement est inattendu. Dans la vie mondaine, il est malséant de proclamer que l'on doute de la parole d'un honnête homme. Les mœurs de la vie artistique permettent au critique de révoquer en doute la sincérité de l'écrivain. J'use de la per mission et je prétends que M. André Fontainas s'en est fait accroire, et laissé accroire aussi, et qu'il semble pessimiste par persuasion et par contagion. M. André Fontainas subit des influences communes à presque tous les artistes de sa génération. Jetez dans un mortier les drames lyriques de Wagner, surtout les poèmes, joignez-y les théories et les propos quotidiens de M. Stéphane Mallarmé, certains fragments épars de Schopenhauer et de Hartmann, un petit catéchisme de M. Barrès, beaucoup d'articles de M. Melchior de Vogué et des autres Gambrinus du Bock idéal sur la mort du positivisme et la résurrection de l'idéalisme, quelques vieux romans de chevalerie et la Légende dorée, pilonnez dru, et vous aurez la pâte bizarre qui sert de substance cérébrale à la plupart des poètes nouveaux. Toutes ces influences vagues, plus ou moins parentes et parfois contradictoires, forment une sorte d'atmosphère intellectuelle et sentimentale qui finit par les imprégner, et qui leur apporte la vérité officielle sur la nature, sur l'homme et sur l'art. M. André Fontainas subit avec zèle ces influences-là, malgré les révoltes de son tempérament et de son instinct. Aussi, dans maintes pages des Ver gers illusoires, au tournant de tel poème d'une noblesse suffisamment nébuleuse, voit-on réapparaître, non pas le vieil homme, mais le jeune chanteur d'autrefois. Et la lutte est telle que les pages du livre ont l'air de vouloir se mordre et se déchirer. Chose piquante, à chacune des deux tendances correspond une forme prosodique particulière. Les poèmes de la veine du Sang des fleurs sont écrits selon les règles de la versification parnassienne. Les autres arborent l'étendard mi-parti de MM. de Régnier et Vielé-Griffin. Je ne surprendrai personne en affirmant que les Vergers illusoires abondent en beaux vers et qu'ils renferment d'heureux poèmes, mais je n'étonnerai personne, non plus, en prétendant que l'œuvre manque d'unité, au point de vue de l'idée et au point de vue de l'expression. Il faudra bien que M André Fontainas décide entre l'Etéocle et le Polynice qui se combattent dans son esprit. -- Sénérité, le livre de vers de M. Léon Donnay, a provoqué des articles bien surprenants, où le désir de trouver un penseur et un mage ne reculait