Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/322

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-3i4- Et moi aussi je cherche un motif de rupture, non pour me marier, mais pour ne pas affliger M. Landoy, qui, j'en suis convaincu, prendra sa revanche en prose spirituellement, bientôt. Quant à M. Michel Féline, il a trouvé un titre original et suggestif : L'Adolescent confidentiel. Les har monies de ses vers ne doivent, paraît-il, « s'entendre que surprises en gouttes à travers le souffle même et autre d'une musique instrumentale ». Exemple : L'amour, l'amour éclatant Du faubourg Ménilmontant Du boulevard de Charonne Emplit la fête du Trône. Quelle chanson vint s'ébattre Si douce qu'on dirait d'un pâtre? Lui s'oublie à l'écouter; Où est-EMe pour chanter ? Elle, c'est évidemment Mlle Yvette Guilbert. Il me reste à signaler, pour en finir avec les poètes, les Poésies d'André Walter. Mon opinion sur ces vers-là est admirablement exprimée par M. Gide : Je crois que ce que nous avons de mieux à faire Ce serait de tâcher de nous endormir.

Le Fou raisonnable, le livre de « proses lyriques » de M. Arnold Goffin, me console de ces poésies prétentieusement enfantines, rimées par des entrepreneurs de migraines et de névralgies. J'ai eu plus d'une fois l'occasion de blâmer ici l'abus que l'on fait du poème en prose. Il est absurde, en effet, de traiter en prose poétique un sujet susceptible d'être exprimé dans la forme du vers. Mais, comme l'a dit excellemment Théophile Gautier, la langue poétique ne se prête guère au détail un peu rare et circonstancié, surtout lorsqu'il s'agit de sujets de la vie moderne, familière ou luxueuse. « Sans avoir, ajoute-t-il, comme jadis, l'horreur du mot propre et l'amour de la périphrase, le vers français se refuse, par sa structure même, à l'expression de la particularité significa tive. » Or, ce sont précisément des sujets, non pas de la vie moderne, mais d'une vie moderne, familière ou luxueuse, que M. Arnold Goffin s'est proposé de traiter. S'il avait choisi la forme du vers, il aurait dû renoncer à la plupart de ces détails rares et circonstanciés, de ces particularités significatives dont parle Gautier. Il a donc bien fait de se décider pour la prose, pour une prose qu'il appelle lyrique et qui, si elle ne mérite pas absolument cette épithète, a un autre mérite, peu banal, c'est de tendre à la perfection et de l'atteindre presque toujours. Le Fou raisonnable renferme une quinzaine de morceaux impeccables, où la précision de l'analyse psychologique trouve une forme absolue et définitive. Le Fou raisonnable me paraît être le meilleur livre de M. Arnold Goffin.