Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/324

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—3i6— du deuil opulent de ces fabuleuses joailleries noires... L'intaille incisive dans l'onyx très dur et résistant, de quelques sonnets erotiques et d'autres, confits et parfumés de péché, de sensualité douce-amère et élaborés avec la préciosité d'un sangfroid imperturbé et sceptique, me firent courir sur la nuque l'haleine glaciaire d'un acier sadique... » J'ai envie de remplacer « poèmes » et « sonnets » par « proses lyriques ». de faire mes réserves sur l'emploi, au moins inutile, de certains mots ignorés et rébarbatifs, et d'appliquer ce jugement à la manière de M.Arnold Goffin. C'est proclamer assez haut, je pense, que le Fou raisonnable n'est pas seulement la meilleure œuvre de M. Arnold Goffin, mais une des œuvres en prose les plus parfaites qui aient paru, en Belgique et ailleurs, depuis longtemps. •• De nombreuses lettres, familiales et familières, de Victor Hugo, publiés sous ce titre : France et Belgique, méritent l'attention de l'historien litté raire. Sans doute, leur publication n'était pas indispensable; mais, si elles n"ajoutent rien à la gloire du poète, elles nous permettent cependant d'observer, en des pages assurément spontanées, d'intéressants phénomènes de sensibilité. C'est une opinion reçue — reçue par les gens peu difficiles sur la qualité des opinions qu'ils reçoivent! — que la poésie de Victor Hugo manque de sincérité, qu'elle recherche à tout prix les contrastes, et que les fresques colossales de la Légende des siècles sont le résultat d'une contrainte intellec tuelle tournée en habitude et en manie Je le regrette bien pour ces gens-là : le Hugo des lettres intimes, loin de différer du Hugo officiel, lui ressemble étonnamment. Et si l'on remarque que ces lettres datent de 1834 a i836, en d'autres termes, qu'elles sont contem poraines de Claude Gueux, à'Angelo et des Voix intérieures, on est forcé de convenir que non seulement le Hugo de ces épitres a les mêmes façons de style que le Hugo des œuvres publiques correspondantes, mais que ces billets insignifiants annoncent le Hugo de la dernière époque, celui qui commence aux Contemplations pour s'épanouir dans les Quatre vents de l'esprit et dans la Fin de Satan. On peut l'affirmer sans paradoxe : les images des Voix intérieures, mal gré leur magnificence, paraissent presque timides en comparaison de celles qui éclatent dans ces lettres négligées, où le terrible Cyclope se démène avec verve, une audace et une liberté que les lecteurs de ses livres ne lui con naissaient encore pas. Dans cette correspondance il se révèle tout entier, tel qu'il est déjà, et tel qu'il sera plus tard, avec sa sensualité frénétique, son amour des grands gestes éployés, des musiques retentissantes et pleines, des fortes et riches couleurs. L'œil — l'œil de chair que dénonçait d'Aure villy — dévore les choses pour les baigner dans sa propre lumière, et se pâme à la fois, avec les mêmes transports, devant l'infiniment grand et devant l'infiniment petit. Et son rococo fantastique, — le maniérisme de Polyphème! — fleurit déjà joyeusement.