Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/325

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-3,7- La rétine de Victor Hugo ne garde pas les images avec cette fidélité de plaque photographique qui nous surprend dans les récits de voyages de Théophile Gautier. Au contraire, son œil d'exagérateur splendide agrandit ou rapetisse les formes; ses tyranniques prunelles, au lieu de s'imbiber de la couleur des choses, projettent sur elles des couleurs intérieures, devant lesquelles toute couleur réelle pâlit et s'évanouit. Hugo voit son rêve, même lorsqu'il écrit ou dessine d'après nature. La nature, c'est lui. « Au loin, écrit-il d'Etretat en 1 83 5 , il y avait un navire dont les voiles gris de pierre dessinaient sur la mer une colossale figure de Napoléon » Et il dessine, à son tour, en marge de sa lettre, la silhouette d'un voilier qui ressemble au Petit Caporal. Ainsi s'éveille en lui, devant les formes les plus simples et les plus banales, l'innombrable et superbe troupeau d'images dont il est rempli. En Belgique, il n'a rien vu, ni en Wallonie, ni en Flandre. Il court de monument à monument, d'hôtels de ville à cathédrales, pour ressusciter en son cerveau l'espèce d'ivresse architecturale à laquelle nous devons Notre- Dame de Paris. Le monde extérieur n'est pour lui qu'un prétexte à marier des souvenirs, une occasion d'étaler d'intimes richesses, un moyen de prendre conscience du monde qui s'agite dans son esprit. En d'autres termes, la curiosité d'un Baudelaire et l'intelligence sympathique d'un Taine lui font défaut, ou, pour dire mieux, lui sont inutiles. Il y aurait à faire de piquantes comparaisons par dissemblance entre les lettres de Victor Hugo d'une part, et les notes de Baudelaire sur la Belgique et les études de M. Taine sur l'art dans les Pays-Bas, de l'autre. J'en suis réduit aujourd'hui à les indiquer. •.- Je devrais analyser longuement certains livres de prose qui se recomman dent à la critique par des mérites intrinsèques ou par des tendances caracté ristiques. Malheureusement, notre revue du mois de juillet est encombree et force m'est, en dépit de ma bonne volonté, de remplacer l'analyse par des mentions. Je me contente donc de signaler l'Invisible, le curieux roman de M. J. de Tallenay, dont le sujet est original. Il s'agit d'un défunt qui assiste, en esprit doué d'ubiquité, aux comédies et aux drames provoqués par sa mort chez ses héritiers naturels. La forme de ce livre, pour être discrète, n'en révèle pas moins un tempérament d'analyste et de romancier. Il y a plus de mordant et de vigueur dans les Contes d'Amérique, de M. Louis Mullem. Les amoureux d'ironies téroces et de plaisanteries à froid se délecteront fort à la lecture de ce petit livre, qui renferme d'excel lents morceaux, écrits d'une encre corrosive, par un conteur puissant et verveux. Ce n'est point par de telles qualités personnelles que l'œuvre de M Adrien Remacle, La Passante, roman d'une âme, attire l'attention. M. Remacle ne paraît point pourvu d'une grande faculté de réalisation plastique. Ses poèmes, rimés ou non, ne donnent guère l'impression d'une œuvre d'art. Mais la Passante a d'autres mérites et aussi d'autres ambi