Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—26— quelque temple, dont il avait ouvert le trésor et dont les absides étaient formées par l'espace bleu. Il avait visité les catacombes de Rome et les cha pelles romanes du Nord ; savant, il avait ouï les mystères sacrilèges des derniers druides, dans les forêts séculaires de Germanie; mais, sous les voûtes aux noires pénombres d'aucune nef, sous aucun chêne sacré par les faucilles des sacrifices, il n'avait éprouvé une si grande ferveur religieuse et ne s'était senti aussi proche d'un dieu. Des cigognes blanches, debout sur les cheminées, s'envolaient à son approche, sans un cri et sans qu'il entendit le battement de leurs ailes. C'étaient les seuls habitants de cette étrange cité morte au fond d'un golfe de lumière, de religion et de richesse. Et cela avait l'air d'être, au bout du monde, un autel impérial et sauvage de solitude, érigé en face de l'éternité et de l'infini. Mais ce qui rendait la cité pjus merveilleuse et plus énigmatique, c'étaient de vieux drapeaux de fête arborés par les rues. Ils pendaient immobiles comme des voiles quand les vents se sont tus, ou comme des éperviers qui planent, et ils étaient tellement anciens qu'il y avait une sorte de nuit autour de leurs étoffes fanées. Le voisinage des magnificences de la ville les rendait, d'ailleurs, plus ténébreux, et leur vétustes tapisseries semblaient prêtes à tomber en poussière et à s'éparpiller dans l'espace ainsi que les cendres des encens refroidis. Il y avait, le long de leurs plis raides, une sorte de halo de passé lointain et mystérieux, et ils se souvenaient de s'être balancés jadis à des souffles célèbres et sacrés. Ils étaient, d'ailleurs, superbes, fpareils aux bannières serrées des chevaliers et des barons, dans le chœur des églises, les jours des messes nobles et reconnaissantes de grandes victoires. Il en était de solennels, avec de prétentieux blasons où l'on voyait des aigles"a deux têtes dont les serres agrippaient des mondes, ou des lions aux langues héraldiques et couronnés comme des comtes de Flandre. D'autres montraient des castels entourés de fleurs de lys, des casques flamboyants, panachés d'orgueil, des licornes aux cornes d'or, — mais d'autres encore rappelaient les métiers des corporations, depuis les truelles brodées sur de la soie jusqu'aux fins outils des bijoutiers, qui s'entrecroisaient en un délicat arrangement. On voyait aussi des saint Georges, de beaux saint Georges blancs, qui pâlissaient dans les laines tissées par quels artisans d'époques trépassées ! Et des sainte Cécile, assises à leurs clavecins et des Jésus de gloire descendant des nuées. Le long de la cathédrale tombaient des flammes et des oriflammes aux couleurs papales, blanches et jaunes,