Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/345

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—337— ment dite (smcrrrifixi) : car il ne nous est donné de connaître, dans le véri table sens du mot, que ce qui est en soi et pour soi, et demeure toujours identique, au lieu que les choses sensibles ne sont que l'objet d'une opinion occasionnée par la sensation Tant que nous nous renfermons exclusive ment dans la perception sensible, nous ressemblons à des hommes assis dans une caverne obscure, si étroitement enchaînés qu'ils ne peuvent tour ner la tête ; ils ne voient rien, mais aperçoivent seulement sur la paroi qui leur fait face, à la lueur d'un feu qui brûle derrière eux, les ombres des choses réelles que l'on promène entre eux et le feu; d'ailleurs, ils ne se voient pas eux-mêmes, si ce n'est sous la forme d'ombres qui se projettent sur la paroi. Leur sagesse ne consiste qu'à prédire, d'après l'expérience, l'ordre dans lequel se succèdent les ombres. Mais la seule chose à laquelle on puisse donner le nom d'être véritable, — parce qu'elle est toujours, ne devient ni ne passe jamais, — ce sont les objets réels que reflètent ces ombres : ces objets réels représentent les Idées éternelles, les formes primordiales de toutes choses. Elles n'admettent point la pluralité; chacune d'elles, selon son essence, est seule de son espèce, attendu qu'elle est elle-même le modèle dont toutes les choses analogues, particulières ou passagères, ne sont que la copie ou l'ombre. Elles ne comportent non plus ni commencement ni fin : car elles possèdent véritablement l'être ; elles ne deviennent ni elles ne pas sent comme leurs copies éphémères Ces deux caractères négatifs nous indui sent nécessairement à supposer que le temps, l'espace et la causalité n'ont, au point de vue des Idées, aucune signification, aucune valeur, et qu'ils n'existent point en elles... Ce ne sont donc que les Idées qui peuvent être l'objet d'une connaissance adéquate, puisque l'objet d'une telle connaissance ne peut être que ce qui existe en tout temps et à tout point de vue (c'est- à-dire en soi) et non ce qui existe ou n'existe pas selon le point de vue où on le considère ». Telle est la doctrine de Platon, très bien résumée par Schopenhauer (Le Monde, trad. Burdeau, livre III, § 3i). En général, les hommes ne voient que les ombres, ils n'atteignent point les Idées. Peuvent-ils, cependant, passer de cette connaissance vulgaire à l'autre? Oui, parfois, et plus ou moins souvent, plus ou moins longtemps, selon la noblesse de leur nature. En règle générale, la connaissance demeure toujours au service de la volonté. Il en est ainsi chez tous les animaux, il en est de même chez l'homme ; chez celui-ci, pourtant, le contraire peut avoir lieu à titre d'exception. Alors l'objet qui, jusque-là, n'était perçu par lui que dans ses rapports avec la volonté, lui apparaît tout à coup dégagé de tout rapport, comme pur objet de la connaissance Cette connaissance a pour caractéristique d'être complètement désintéressée et de ne point mettre la volonté en mouvement. « L'homme ordinaire, dit Schopenhauer (Le Monde, livre III, § 36), ce produit industriel que la nature fabrique à raison de plusieurs milliers par "jour, est incapable, tout au moins d'une manière continue, de cette aper- ception complètement désintéressée qui constitue la contemplation : il ne peut porter son attention sur les choses que dans la mesure où elles ont un