Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—3+4— tous célèbres, à tel point qu'il est inutile d'en parler. On remarque chez la plupart des autres une tendance à travailler selon la mode d'aujourd'hui, et l'on s'applaudit du progrès indéfini de l'art. Il est sûr que l'usage de peindre toujours de mieux en mieux (à vue de simple contemporain) n'est pas près de se perdre : félicitons-nous-en, après tous nos prédécesseurs. Le contingent étranger est très nombreux, mais ne nous apporte, même pour nous, Belges, que peu de choses inédites. Mentionnons ['Hélène de M. Fantin-Latour, illustration infiniment gracieuse, et peut-être banale ment aussi, du Sabbat classique de Gœthe ; un paysage navré et des types d'humanité déprimée, ridicule ou mauvaise, de M. Raffaëlli; des Besnard tout pavoisés de nuances rares, tout flamboyants de reflets fantaisistes; un excellent buste de Puvis de Chavannes, signé Rodin ; l'admirable Maternité de M. Carrière : dans une subtile pénombre de brouillard morne, dans une atmosphère étrange où flotte de l'angoisse, s'intensifie la tendresse d'une mère douloureuse qui serre passionnément ses enfants dans ses bras et dont on sent passer toute l'âme épeurée dans cette étreinte. M. Hubert Vos, peintre hollandais, belge d'éducation, fixé en Angleterre, a envoyé, avec plusieurs autres toiles, un Angelus à Volendam, qui est ravissant dans l'har monie douce de ses bleus et de ses violets, dans le décor charmant de cette chambre comme enchantée de silence, où trois personnages, une vieille femme, un enfant, une jeune fille, condensent en eux le recueillement et le rêve candide des choses ambiantes et des magiques couleurs. A signaler, parmi les œuvres belges, l'immense toile consacrée à Van Artevelde, par M. Van Aise : les qualités d'un peintre foncièrement fla mand y luttent de façon généreuse avec les difficultés inhérentes au thème froidement officiel qu'il a voulu s'imposer. M. Frédéric complète son trip tyque religieux ; mais le panneau principal, la Sainte Face, déjà analysé ici, demeure le meilleur morceau. Dans le paysage triomphent M. Claus, dont les ardentes clartés eussent été, il n'y a pas longtemps, avant la trouée des luminaristes, rejetées avec mépris dans les ténèbres extérieures, et M. Baertsoen, dont la Ville Flamande, tout enveloppée de tristesse dans la lumière jaune d'un couchant triste, requiert par une impression péné trante et juste. Modestes, sans tapage, sans tape-à-l'œil, trois petits cadres de M . de Gouve de Nuncques, que la foule n'apercevra pas , méritent l'attention. Deux d'entre eux, intitulés tous les deux Mon jardin, une correcte allée en charmille étoilée de fleurs blanches dans un petit enclos qui a l'air d'un jardinet de couvent, puis un coin fleuri de fleurs sauvages et des tuiles rouges d'une maison basse, sont imprégnés d'un tel sentiment de paix rési gnée et de solitude qu'un charme, analogue à celui qui est dans Mellery, vous arrête, vous rappelle et vous retient. La facture et l'arrangement sont d'ailleurs absolument personnels. M . de Gouve voit la nature avec des yeux neufs, comme vierges, pleins d'enfance étonnée et pensive. S'il y a un gothique moderne, c'est assurément celui-là. Son Intérieur d'église de village, avec les vapeurs de l'encens, l'or des chasubles, les enfants de chœur et l'agenouillement des fidèles, a la même profondeur d'accent et la même originalité.