Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/353

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-345- Deux jeunes sculpteurs marquent : M. Lagae, un prix de Rome demeuré intact, et M. Gaspar, dont l'Adolescence est une œuvre exquise : grâce frêle, rêveuse chasteté, où s'empreint comme une peur instinctive de la vie et de l'amour. Ernest Verlant L'exposition des œuvres de M. Jules Lagae au Musée moderne. . Le sculpteur Jules Lagae, lauréat du concours de Rome de i886, a exposé les premiers jours du mois passé, dans une salle du Musée moderne, l'ensemble des œuvres qu'il a exécutées pendant la durée de son séjour en Italie. Ceux qui ne connaissaient point M. Lagae, par l'Abel qu'il exposa jadis au Salon de tEssor, en même temps que quelques bustes fouillés et pleins de vie, ont été singulièrement étonnés et heureusement surpris de la puis sance et de l'originalité dégagée par l'ensemble des œuvres exposées. On est, en effet, peu habitué à rencontrer un mérite ou une originalité quelconque dans l'envoi des lauréats des concours de Rome et ce n'est point sans raison que la qualification de « Prix de Rome » semble à la plupart des artistes plus malsonnante qu'honorifique. M. Lagae nous paraît avoir réhabilité ce titre, autant qu'il est possible, en montrant ce que peut avoir de bon l'institution pour autant que le prix soit attribué à un artiste. Les œuvres exposées — très nombreuses pour le court espace de temps que M. Lagae a passé en Italie — témoignent, en effet, d'un progrès con sidérable sur tout ce que le sculpteur avait exposé précédemment. Il a, dès à présent, la pleine connaissance et la science parfaite de son métier et il a conservé, en l'augmentant, le grand sentiment et la touchante humanité qu'il avait déjà auparavant. Des sculptures exposées "dans les salles du Musée moderne, deux groupes nous ont particulièrement séduit. Tout d'abord, l'œuvre principale, exécutée par M. Lagae pendant son séjour à Rome, un groupe de Condamnés, inspiré par une vieille légende flamande du temps de Charles le Bon : deux parricides chassés loin de leur ville, enchaînés par le cou et contraints d'aller faire pénitence au tombeau des saints en lointain pays; d'y aller et d'en revenir en mendiant leur vie le long des grands chemins. Le sculpteur les a représentés à leur retour, vieux, épuisés, les membres usés, raidis par les longues marches et les privations, la barbe et les cheveux incultes, ne son geant plus à rien, n'ayant plus que la seule pensée de ne pas mourir en chemin. Le plus affaibli des deux est resté un peu en arrière, et les reins brisés il appuie douloureusement la main gauche sur sa cuisse pour s'aider à marcher et de la main droite il essaie d'écarter, ne fût-ce que pour un moment, l'horrible collier de fer qui lui déchire le cou et le blesse depuis des années. Il y a dans ce groupe une grande pitié, une intense et sincère commisé ration pour ces misérables vieux abandonnés de tous, qui nous ont