Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/355

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-347- , La nouvelle œuvre de M. Emile Zola n'est ni meilleure ni pire que les précédentes, et le récent volume du Père Gigogne de Médan n'a rien qui le distingue de ses aînés. S'il est d'une lecture encore plus pénible, c'est à cause de l'énorme disproportion qui existe entre l'écrivain et le sujet. « Tous les romans de M. Emile Zola, écrivais-je naguère dans la Société nouvelle, réapparaissent sous un double aspect. Une charpente solide, carrée, toujours la même, à plusieurs étages parallèles, symétriquement découpés. Et, dans cette charpente, d'étage en étage, quelques sujets déco ratifs, quelques thèmes généraux, que l'architecte, devenu soudain orateur, développe avec abondance, avec fougue, en une série de phrases de chant uniforme et lâché. Ces sujets décoratifs, on les découvre en feuilletant le volume. Ce sont tour à tour, dans le Ventre de Paris, l'immense nature morte des Halles, dans l'Assommoir , le cabaret où les ouvriers s'enivrent, dans la Faute de l'abbé Mouret, le Paradou, dans Au Bonheur des Dames, les magasins d'Octave, dans Germinal, le Voreux, le panorama de Paris dans Une page d'Amour, et la cathédrale dans le Rêve. Ces vastes toiles, largement brossées, avec des empâtements de couleurs et des simpli fications de dessin, vivent parfois d'une sorte de fièvre animale. La pre mière fois qu'on les regarde, on est ébloui. Mais lorsqu'on y revient, on n'est plus dupe des procédés rudifflentaires de l'écrivain. Le trompe-l'œil éclate, et la vanité de l'œuvre apparaît. On retrouve, dans les phrases de l'improvisateur, dans les périodes du panoramiste, la même monotonie symétrique que dans le plan de l'architecte. Et les personnages qui se remuent dans ces énormes constructions parallèles ne sont que de tristes comparses, dont les paroles et les actes sont déterminés par les thèmes généraux et les sujets décoratifs du monument. Ils n'ont pas de vie propre : ni vrais, ni faux, ils représentent des incarnations de l'instinct, des aspects de la lutte des sexes, des phases de la rixe des tempéraments. Ces incarna tions ne sont pas nouvelles, cette lutte est bornée à quelques rencontres physiologiques, cette rixe ne nous apprend rien sur les combattants. Une humanité animale, trop banale et trop petite pour les architectures déme surées où elle s'agite, racontée dans une langue veule, enluminée, criarde, grosse de méchante rhétorique débridée, tel est le maigre bilan que dépose, entre les mains des curateurs de sa gloire, le grossoyeur de romans qui s'ap pelle Emile Zola. » Toutes ces observations s'appliquent à la Débâcle, avec cette particula rité que le thème général n'est plus un édifice ou un paysage, mais la description de la déroute de l'armée française, et en particulier de la déban dade du 7e corps. Le romancier de la Débâcle n'est ni un historien ni un philosophe. Pour quoi l'Empire s'effondre, pourquoi la France est battue, pourquoi la Prusse, prenant enfin sa revanche d'Iéna, ravit à la race latine l'hégémonie en Europe, c'est ce que M. Emile Zola ne nous dit point, c'est ce qui ne l'em barrasse guère, c'est à quoi peut-être il n'a pas même songé. Il se borne à nous apprendre que la guerre d'Afrique a gâté les vétérans, que les recrues sont inconsistantes, et il place dans la bouche de l'Alsacien Weiss, qui a