Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/356

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—348— voyagé en Allemagne, quelques phrases mystérieuses et prudemment géné rales. Le problème n'est pas même posé. Tout ce que M. Emile Zola sait, c'est que la bataille de Sedan a été perdue par les Français, et il la décrit à sa manière, selon les préceptes de la bonne narration naturaliste, comme pour une sorte de concours général entre romanciers. Voyons donc si cette description de 636 pages a les grandes qualités artis tiques qu'on lui attribue. Hélas! ce n'est ni une fresque, comme la Guerre et la Paix de Tolstoï, ni même un tableau d'histoire, comme les Chouans de Balzac, — c'est un simple panorama. Pour donner au visiteur l'illusion de la réalité, le peintre de panora mas militaires met, aux premiers plans, de la terre vraie, un arbre vrai, quelques sabres et quelques canons d'une incontestable vérité. Puis il brosse sa toile circulaire selon les lois de la perspective, et le tour est joué. M. Emile Zola, dans la Débâcle, ne procède pas autrement. Il dis pose aux premiers plans de son roman, sous une lumière d'évidence, quelques épisodes d'un pittoresque facile, quelques lieux communs de description qui ravissent le lecteur badaud. C'est Loubet qui, à l'heure de la soupe, mystifie Lapoulle, le Jocrisse traditionnel, en lui don nant un gros caillou blanc pour un' poulet; c'est, lorsque le 7e corps bat en retraite sans avoir combattu, la vieille paysanne qui sort de sa chau mière pour crier aux soldats : « Lâches, le Rhin n'est pas là... Le Rhin est là-bas! » C'est le vol et la cuisson de l'oie, le dénombrement de la maison de l'empereur, le déjeuner chez les Delaherche, à Sedan, la vision puérile du paysan qui, malgré la bataille, continue à labourer son champ, etc., etc. La toile de fond représente confusément, en une narration éparse, la marche du 7e corps, la bataille de Sedan, le camp de la Misère, et en guise d'apothéose, l'embrasement de Paris pendant les dernières convulsions de la Commune. Si les motifs épisodiques des premiers plans, d'une banalité désespérante, évoquent les journaux illustrés de i87o, et semblent des trans positions de telle cantate à l'huile de Detaille ou de de Neuville, la toile du fond n'est pas plus intéressante C'est la vieille description naturaliste, empâtée et grossière, où reviennent sans cesse, comme des refrains, les deux ou trois effets de rhétorique familiers à M. Zola. La langue, de plus en plus veule, n'est plus qu'une sorte de bredouillement violent, et les phrases se déroulent monotones, traçant chacune le même geste, faisant chacune le même bruit. La beauté est absente, et la vie aussi. La forme n'est plus même correcte, et les grammairiens auraient le droit de crier. M. Zola recommandait naguère la grosse phrase bête de Noël et Chapsal. Aujourd'hui sa phrase est encore grosse et bête, mais elle n'est plus même de Noël et Chapsal. J'ai dit que la Débâcle n'est qu'un panorama. J'ajoute que c'est un mau vais panorama. La construction en est vicieuse, car personne ne prétendra que les intrigues amoureuses de Mme Delaherche et les aventures mélodra matiques de Silvine, d'Honoré et de l'espion Goliath soient liées d'une façon intime et nécessaire au sujet de la Débâcle. Or, ces deux épisodes sont tel