Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/358

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—35o— M. Célestin Demblon, dans les remarquables études publiées récemment par le Peuple, fait observer avec raison que les écrivains belges répudient la littérature démonstrative, tandis que la thèse, directe ou indirecte, fleurit depuis des siècles dans les œuvres des écrivains français. Or, voici M . Ca-, mille Lemonnier qui, après vingt-cinq années de production littéraire absolument désintéressée, publie un roman à thèse, à thèse physiologique, politique et sociale, un roman qui semble un pamphlet allongé et engorgé, un roman qui est, en somme, dans sa partialité peut-être voulue, un livre de propagande socialiste avant d'être un livre d'art. La Fin des Bourgeois échappe donc à la critique littéraire, et relève d'une espèce de critique qui m'est interdite ici. Ce plaidoyer contre la bourgeoisie ne convertira d'ailleurs que des convertis. Pour le lecteur dépourvu d'idées préconçues, le roman de M. Camille Lemonnier a le défaut grave, commun à tous les romans démonstratifs, de conclure du particulier au général. C'est un latius hos de 3oo pages. C'est beaucoup pour un mauvais raisonnement.

Si le roman de M. Camille Lemonnier m'apparaît comme un raisonne ment boiteux, l'œuvre de M. Robert de Bonnières, Contes à la Reine, me semble, littérairement, un anachronisme. M. Robert de Bonnières a voulu ressusciter le conte en vers, abandonné depuis Musset. La tentative est piquante, digne d'un esprit ironique et galant, qui a trop de goût et de culture pour s'essouffler en vain à jouer le Titan. M. de Bonnières a réussi. Il a raison de nous raconter, un peu longuement, les Fées, les Saints et les Rois. Il raconte si bien, avec de si jolis sourires au bout des rimes et de si tendres larmes à la fleur des mots I C'est la muse pédestre, sans doute, mais elle sautille, en marchant, avec tant de grâce, qu'on lui sait presque gré de ne pas voler. Le cas de M. Jean Delville, le poète des Hori\ons hantés, n'est point banal, mais il menace de le devenir. On connaît le mot de ce grand seigneur du XVIIIe siècleàqui l'on deman dait s'il savait jouer du violon, et qui répondait nonchalamment : « Peut- être : je n'ai jamais essayé ! » M. Jean Delville, peintre de son état, s'est tout à coup mis en tête d'es sayer de la poésie. Et voici qu'on lui assure, de divers côtés, que son essai est un coup de maître. Les maîtres vont vite, aujourd'hui. M. Jean Delville, s'il ne mérite pas de tels pavés d'ours, se recommande par des dons naturels qui sont rares et que je souhaite à maint débutant. Une sensibilité vibrante, une grande richesse d'imagination, une ardente nostalgie de la Beauté pure, voilà des qualités natives sans lesquelles il n'est point de poète, et que M. Jean Delville a eu le bonheur de trouver dans son berceau. Pour lui, les bonnes fées ont été prodigues; malheureusement