Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/36

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—28— Un vent frais venait de la mer et faisait s'agiter les pavillons des mâts, au port lumineux. Des jeunes filles trottinaient, les bras nus, avec des boucles d'oreille. Et elles rougissaient en rencontrant une troupe de lansquenets dont les musiciens jouaient du fifre. Ah ! la douce ville ! la douce ville! C'était comme un grand nid au soleil, un grand nid tout chantant, et les maisons blanches et rouges avaient des sourires pour ceux qui passaient. Les volets verts des auberges s'étaient ouverts : on entendait le beuglement des vaches et le clairon des coqs. Des marchands criaient dans les rues, des marchands d'osiers, de harengs, de citrons, de caramels et de plies sèches. Ils s'arrêtaient aux portes et les ménagères venaient, en béguin matinal, leur acheter pour quelques sols de marchandise. Sur les canaux qui rêvaient sous les ponts de la ville, des bateaux glissaient lentement, en reflétant dans l'eau leurs proues joyeuses. On avait été à la première messe ; et maintenant les églises étaient vides, et on entendait seulement, par leur porte ouverte, comme un dernier écho des fugues qui tantôt avaient résonné à l'orgue. Mais la population réveillée travaillait. Il y avait des rouets aux fenêtres, des coussins de dentelières aux portes. Les métiers des tapissiers s'étaient mis en train, et cela faisait à la ville une voix laborieuse. Les maréchaux ferraient dans leurs forges, auprès de feux criants et de fers rougis, et sur les enclumes les marteaux résonnaient clair. Les orfèvres étaient dans leurs boutiques où ils ciselaient minutieusement, et le long du fleuve des tanneurs raclaient et salaient des peaux de bœufs et de taureaux. De toute cette vie, sous ce ciel de mai, allaient surgir, n'est-ce pas? filées, tissées, niellées, aurées, brodées, sculptées, des œuvres magnifiques. Car on faisait à Nazareth les dentelles les plus précieuses et les plus fines, les ciboires et les ostensoirs les plus éblouissants, les cuirs gaufrés les plus ensoleillés, les tapis les plus fleuris, avec des scènes de l'Histoire sainte tissées dans la laine, et on y sculptait le chêne de façon à rivaliser avec tous les artistes des Flandres. C'était comme une grande et noble ruche, où l'on venait chercher tout ce qui orne les cathédrales, depuis les bénitiers que les marbriers polissaient avec des soins dévots, jusqu'aux crucifix immenses et glorieux qu'on pend au-dessus des chœurs où ils étendent, comme des ailes de souffrance et de rédemption, les branches sanglantes de leurs croix orfévrées. Les nappes des autels et des tables de communion, les surplis aux marguerites d'or et aux saints nimbés d'amandes mystiques, les candélabres, les chandeliers, les huiliers et les burettes, tout l'attirail des vêpres et des grand'messes, — puis les châsses et les tabernacles, aux