Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/376

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—368— de toi, je t'envoie mon fils par le train qui suit ce courrier... Pardonne, mais il n'y avait pas un instant à perdre. La goule pouvait le resaisir et alors c'en était fait de moi, de lui, g- notre race... » — Non, non! Je ne veux pas !... C'est impossible ! En prononçant ces paroles, la comtesse se redressait frissonnante, effarée, aussi saisie que si un étranger était survenu brusquement dans le salon... i Recevoir ce jeune homme ! ici, sous notre toit ! En l'absence de mon mari! Dans quel embarras me plonge la baronne! Mais si, comme elle l'annonce, il arrive ce soir, pas moyen de le renvoyer, nous lui devons au moins l'hospitalité cette nuit. . » Un élan subit de la flamme lui montra son image dans une haute glace vénitienne vis-à-vis du foyer. — Une vieille femme comme moi, une ermite qui pourrait être sa mère, entretenir pareils scrupules! Fi donc! Et mes quarante ans! La présence de mon frère ne suffit-elle pas, d'ailleurs, pour sauver les convenances... Puis, nos voisins ont repris leurs quartiers d'hiver. Allons, rendons ce petit service à notre inséparable d'autrefois... Oui, mon amie, — dit-elle avec attendrissement en baisant la lettre — je serai bonne, aussi bonne que toi, vraiment maternelle, pour notre cher enfant! » Au domestique qui apportait des flambeaux et rétablissait l'édifice des bûches sur les chenets, elle ordonna de préparer l'appartement pour le visi teur attendu. Elle-même monta, peu de temps après, afin de mettre la der nière main à cette installation ; puis, elle passa dans sa chambre de toilette, tordit et lissa d'admirables cheveux et finit par se draper d'une opulente robe de satin noir qui aristocratisait encore sa prestance impériale et faisait valoir la blancheur et la matité de sa carnation. Ses craintes, son ridicule malaise l'avaient abandonnée ! Elle ne repré sentait plus qu'une parente affectueuse attendant la visite d'un polisson de neveu, prête à lui passer ses fredaines et même à en goûter le récit. Une voiture arrêta devant la grille, la cloche retentit, et le domestique annonça M. le baron de Presles. Dès le premier coup d'œil, Mmc de Gasparheyde constata que la baronne n'avait pas exagéré les agréments physiques de son héritier. Grand, fluet, de taille cambrée, nerveux, blond avec des yeux de velours, si profon dément bleus qu'ils en paraissaient noirs, une moustache naissante ombrant le corail des lèvres, les coins de la bouche légèrement contractés par la tris tesse, le teint nacré, une pâleur intéressante, le charme de ce voile dont la première épreuve couvre un visage adolescent, une physionomie à la fois spirituelle et réfléchie. Sur le champ, la comtesse se sentit attirée vers lui