Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/381

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-373- lui fit raconter ses bonnes fortunes. La mort dans lame, elle l'eût envoyée à une rivale si pour le revoir un jour et le garder dans l'éternité ce partage avait été indispensable. Elle souhaitait d'incarner toutes les femmes capables de lui plaire et jamais, avant son arrivée, elle n'avait cru déplorer à cet extrême le déclin de sa jeunesse ! Qui nous révélera les stades, les péripéties, les victoires sinistres de la campagne que la comtesse menait contre son propre cœur ! Comment s'y prit-elle pour étouffer à ce point le cri de son être, pour amortir constamment l'expression de son visage, assourdir l'éclat de sa voix, pour demeurer attentive, simplement douce et bénigne? Qui divulguera les miracles opérés par cette commensale de la douleur, pour transposer en une calme et maternelle berceuse les concerts brûlants, les hymnes enflammés de l'adultère? La comtesse savourait l'âpre et poignante volupté d'un holocauste volon taire, du meurtrier triomphe remporté par le devoir sur la passion. Elle était de ces amantes héroïques qui sans espoir de retour, prodiguent les dévoue ments, raffinent sur leur désintéressement sublime, et pour rendre leur cœur plus sensible, plus aimant, martyrisent ce cœur et y plantent les sept glaives du sacrifice. Souriantes, nimbées d'une lumière d'apothéose, radieuses, elles emportent dans la tombe le secret qui les a tuées. Amour cuisant que connurent les prophètes et les messies ! O pauvres âmes, c'est vous qui devriez nous retracer les affres du moment climatérique où, parvenu au sommet de la vie, avant de dévaler l'autre versant, on promène une dernière fois le regard sur la vallée et les coteaux prêts à disparaître pour toujours, sur ces paysages arides ou fleuris si ravis sants au soleil de la vingtième année ! Irrévocable adieu de l'exilé à la rive natale ; sourire poignant du moribond bénissant tous ceux qu'il aime ou qu'il aurait aimés; tendresse crispante, tendresse ineffable qui se cram ponne à l'élu, au préféré et qui sent approcher le pouvoir fatal tranchant les liens les plus chers! L'épouvantable délice de cette suprême pensée : à toi! Ah! quel vivant ainsi conjuré pourrait résister, si le charme s'en pro longeait, a cette incantation plus impérieuse et plus corrosive que les pleurs, les spasmes et les frénésies des volcans ! Et comme on s'explique alors la légende des vampires appelant de la tombe l'objet de leur adoration ou descellant le sarcophage, soulevant le mausolée pour aimer jusqu'au sang ! Ames en peine, véhémentes, orageuses, à jamais inassouvies, reve nant chercher, au delà de la vie, les trésors dont elles n'ont pas joui!... Et c'est cette passion exacerbée, ces laves paroxystes que Mme de Gaspar- heyde se flattait de pouvoir refluer toujours au fond de son cœur héroïque pour les distiller en un dictame digne de celui que les sainte Thérèse et les François d'Assise offrirent à leur dieu !