Aller au contenu

Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/382

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

-374- « Pour tout salut, pour tout paradis, je me contenterais de le voir : sa présence ferait leternelle lumière et pas plus que les anges ne se lassent de la contemplation du Très-Haut, je ne me lasserais de m'anéantir en sa beauté ! » Telle était la prière de la comtesse. Le baron de Presles se sentait enveloppé d'un souffle à la fois despotique et câlin, d'une influence subtile et générale; la comtesse le captait dans toutes ses fibres, jusqu'au tréfond des moelles; ses mouvements, ses atti tudes, tout ce qui émanait d'elle était velours, duvet, harmonie, et sa chair fleurait la saison des framboises et le mois des fenaisons ! A la fin, sans se convaincre encore de l'amour éperdu qu'elle lui portait, lui ne se possédait plus, il s'abîmait en cette femme, il défaillait sous ses yeux. Les derniers temps elle eut beau l'exhorter à prendre des distractions au dehors, il s'obstinait à demeurer auprès d'elle, et, chaque jour, il lui décou vrait un charme nouveau ; elle lui semblait toujours la plus sublime des femmes et chaque fois d'une autre façon ! Un incident les édifia enfin sur l'essence identique et la réciprocité de leurs affections. La baronne de Presles rappelait Edmond qui venait d'atteindre sa majorité : il s'agissait de lui rendre des comptes de tutelle, de prendre des arrangements avec les notaires, d'un tas de formalités pape rassières pour lesquelles sa présence était indispensable et que son séjour à Gasparheyde lui avait fait perdre de vue. La baronne l'entretenait aussi, à mots couverts, d'un projet matrimonial qu'elle venait de concevoir pour lui! Très contrarié, il contesta l'urgence de son départ, mais la comtesse, de plus en plus surhumaine, pressentant peut-être l'approche du dénouement qu'elle éludait depuis plusieurs mois, l'engagea, au contraire, à retourner dès le lendemain à la ville. Oui, elle parvint même à lui parler de la fiancée qui l'y attendait. Il ne dit rien, mais il lui lança un regard de reproche qui faillit lui arracher son secret. Elle aurait voulu quitter le salon, mais elle demeurait clouée sur sa chaise, en face du bien-aimé, ayant peur d'ajouter encore une parole, évitant même de rencontrer une nouvelle fois l'imploration poignante de ces chers yeux. Quoi qu'elle fît cependant pour éviter ces regards capables de fondre un marbre, elle ne parvenait point à se dérober à leur suggestion. Pour la dernière fois, ils se trouvaient ainsi dans cette chambre familière. Quelques heures encore, à l'avoir là, tout près d'elle! Et demain, puisqu'il s'agissait de le marier, l'éternelle séparation! Le rapide tic tac de la pendule narguait leur insupportable silence. Leurs cœurs battaient de plus en plus vite et si fort qu'ils en entendaient les Lattements. A la fin, ils articulèrent quelques