Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/387

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—379— Des soupirs passaient dans le vent, des plaintes s'échappaient des vagues et sur son cœur et sur la mer planait le poids des noirs nuages. « Mer, dit le roi, terrible, sauvage mer enrayante, que raconte la voix de tes vagues ? Elles retombent sans cesse, blanchissent et meurent sur le sable blond et leur chant me peine et m'afflige autant que la longue plainte des vents d'automne. — Vagues mourantes, dolentes, que pleurez-vous ? — Le bruit géant de votre plainte éternelle m'épouvante et me vide le cœur, et j'ai crainte que mon âme ne s'en aille à jamais avec vous et que vous ne me laissiez seul pour toujours avec votre tristesse infinie. , Vagues éternelles qui baignez les îles riantes et vertes de la mer, dites-moi, le long des claires plages matinales, n'avez-vous point vu passer, dans la splendeur du soleil levant, un riant cortège de dames et de damoi- selles entourant la rose et blanche princesse de mes rêves ? Vous la vîtes, ô vagues, et voulûtes la suivre ; — et la dernière de vos lames amoureuses se répandit en écume bruissante autour de ses pieds calmes et se retira comme sanctifiée; — les flots charmés se couchaient quand elle passa devant eux et toute la mer devint unie et claire comme un miroir de chrysoprase. Flots changeants qui portez, au sein des ports tranquilles, les navires audacieux et superbes, — ou les submergez misérables, en vos gouffres amers, écoutez-moi, répondez-moi. Certain beau soir d'été ne l'avez-vous point vu surgir triomphale, sa galère d'or fulgurant sous les derniers rayons du soleil. Elle était couchée sur un trône à l'arrière du navire, ses yeux fixés sur le soleil étaient frappés de gloire, des lueurs y brûlaient de pourpre et d'or ; des flammes traversaient sa chevelure et passaient sur son visage extasié, et sa beauté frappait d'amour le ciel rouge et la mer dorée. Des chants joyeux, de mélodieux concerts retentissaient autour d'elle et domi nant toutes les autres, sa voix s'élevait et planait sur le ciel et sur la mer, sa voix haute et claire, grave et sonore, plus belle que le chant des sirènes, charmeresses de navires. Le bruit des rames soulevées en cadence rythmait les chants, et de lourds tapis aux mille couleurs, suspendus aux bords de la galère, traînaient dans l'eau. Elle suivit longtemps le large chemin d'or que le soleil avait tracé sur la mer et quand^ elle eut disparu dans les vagues frangées d'or et les nuages incendiés, l'astre sombra dans les flots et dis parut, et la nuit pâle et solitaire couvrit la mer. » Ainsi parle le prince, et nulle voix ne répond, que la voix des flots qui se lamentent et s'entre-choquent en plaintes confuses et monotones; les blancs oiseaux ont disparu ; les nuages convient le ciel et la mer roule à l'infini ses vagues vertes, ternes et tristes.