Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/393

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—385— LE TRIOMPHE DE LA PAUVRETÉ Sous l'antique porche à la voûte d'azur semée d'étoiles d'or de Saint- Germain l'Auxerrois est assise une mendiante. Et si vieux sont ses vête ments et si grise est sa face de douleurs, qu'elle semble, au seuil de cette église, une statue de pierre par les ans ravagée, œuvre d'un prodigieux et pieux artiste de la Renaissance. La tête droite, appuyée aux colonnes de pierre, depuis des ans, elle regarde sans voir les choses et les gens qui passent devant elle et ses yeux fixes sont pleins de rêve et de mystère, comme l'ombre et le silence de l'eglise qui la protège. Elle a sous ses vête ments en loques des allures de prophétesse et de sibylle, et les gens couverts de péchés qui franchissent le seuil de l'église, en ont crainte et pitié, et d'aucuns regrettent longtemps en leur cœur de ne lui avoir point fait l'aumône, mais la pauvresse ne voit plus rien ici-bas, et tant de prières ont passé sur ses lèvres que le Seigneur l'exauça et qu'elle perçoit déjà le ciel et les joies divines qui là-haut l'attendent. Immobile au seuil de l'église, elle écoute sonner, sonner les cloches, et dans les vibrations dernières voit des âmes monter toutes blanches dans la lumière Elle écoute chanter les orgues; sous leur voix puissante des prières semblent monter des pierres elles-mêmes et des colonnes de l'église, tandis qu'aux coupoles élevées — comme un vol d'anges — s'élèvent et planent les voix pures des enfants innocents. Les orgues ronflent dans l'église en pierre, la voix des enfants jaillit dans l'église en extase comme un faisceau de lumière transperçant les glorieux vitraux des fenêtres et l'antique porche de Saint-Germain à la voûte d'azur semée d'étoiles d'or resplendit alors pour la pauvresse et son cœur gonflé d'amour s'entr'ouvre alors aux sublimes visions du paradis. ... Elle voit sur des gazons scintillants semés de mille fleurs, glisser les longues robes légères des anges. De fraîches couronnes de fleurs dans leurs cheveux d'or, les mains unies, ils chantent et dansent en rondes enfantines aux jardins azurés qui s'étendent aux portes du paradis. Par-dessus les arbres toujours verts, sur de brillants nuages arrondis et légers dans l'azur, comme de blancs nénuphars sur les eaux profondes, des anges aux soyeuses ailes ocellées contemplent de leurs yeux clairs les routes couleur d'arc-en- ciel qui mènent aux jardins célestes. Des rayons d'or, fête et gloire perpé tuelle, filtrent des murailles de verdure et de fleurs qui entourent le divin séjour, et sous des arcades de verdure et de fleurs, des archanges de leurs doigts harmonieux font vibrer les harpes célestes suspendues aux portes du ciel, et chantent penchés vers la terre pour sauver des âmes à la lumière.