Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/408

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—4oo— une couronne : — c'est un très vieux chêne, et cet arbre pourrait vous raconter — une vie de plusieurs siècles. — Le chêne se décida enfin à la raconter, un jour, quand vint une nuée — qui, lassée de sa pérégrination, — choisit sur lui son gîte momentané. — La nuée lui dit : « Raconte-moi donc — les événements curieux de ton existence ». — Le chêne lui narra — l'histoire suivante :

Loin, bien loin, sur la crête romantique des montagnes, florissait la souche de mes feus ancêtres. — Le séjour de ma mère était proche des par- rages des astres, — et elle était le plus bel ornement de la forêt primitive. — L'ouragan conçut pour ma mère un amour effréné, — mais, ne pouvant jamais atteindre le but de ses désirs, — dans sa lâcheté il jura de se venger, — de lui faire tout le mal possible. — Hélas! il tint son serment. J'étais suspendu — à ma mère, tout comme mes frères et sœurs, et elle nous tenait enlacés dans ses bras avec amour. — L'ouragan nous arracha à ses étreintes — et plein d'une rage féroce, il nous dispersa dans toutes les direc tions. — Moi, il me chassa jusqu'ici en une course folle. — La steppe me reçut chez elle hospitalièrement. — J'y ai poussé, et j'y ai vu bien des siècles, se succédant les uns les autres. — Ah, comme la vie ici m'a paru ennuyeuse ! — Tout ce que je voyais autour de moi ne m'apportait que du chagrin. — Ma mère, hélas, et mes frères et sœurs, — aussi loin que je regarde, je ne les aperçois nulle part. — Des hommes viennent de temps en temps : — je les reçois cordialement, selon mes moyens. — A qui vient en été, quand le soleil darde ses rayons, — je lui offre mon toit ombreux pour le rafraîchir ; — à qui vient en hiver dans ces lieux déserts, — je lui donne mes branches desséchées pour le réchauffer ; — mais celui qui ne trouva dans le cours de sa vie que morne désespoir, — celui-ci vient et se pend à l'une de mes branches. — Maintenant tu sais tout, — tout ce qui m'arriva d'important depuis que je me trouve en ces lieux. — Ah! puissé-je ne plus exister ! — L'ou ragan qui parcourt de temps en temps la steppe, — essaye sur moi sa rage inassouvie, — mais jusqu'à présent il n'a pu venir à bout de moi. — Mais, conçois-tu chose pareille! le héros qui, inébranlable, — ne recula, durant des siècles, devant aucun adversaire, — est maintenant menacé de mort par des misérables vers ! Seigneur Dieu, aie pitié de moi ! N'aurais-tu donc pas pour moi une mort moins vile?

Ainsi parla le chêne. — Mais la commisération pénétra — dans le cœur