Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/41

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—33— Puis les Nazaréens étaient allé dévaster leurs jardins, et il avaient jeté par poignées des fleurs de printemps sur le sol de la rue principale, des fleurs dodues, aussi innocentes que des yeux d'enfant, avec leurs chairs imbibées de la fraîcheur des rosées. Les fleurettes ainsi cueillies à l'aube de leur âge, pour servir à la célébration de Jésus, étaient bien des jeunes martyres, et elles prenaient, dans cette apothéose et cette foule, l'air radieux de celles qui vont mourir au milieu de cirques de soleil, d'aigles romaines et de fanfares. On en avait semé partout et elles étendaient un grand voile nuptial sur la rue, éblouissant et pareil à une rivière qui refléterait des âmes de vierges et qui passerait sous des ogives emplies de cantiques, de gloire, de lumière et d'azur. Jésus, escorté de ses disciples, dit aux Nazaréens : — Votre ville est la ville de la prière. '-- Ils en eurent une grande joie, car ils étaient tous venus avec des rameaux pour saluer le Seigneur. Depuis les riches chevaliers, qui possèdent assez de ducats pour en com bler le Jourdain, jusqu'aux bateliers des canaux, qui avaient délaissé leurs cabines fleuries de fleurs de beurre et sentant le goudron ; depuis les nobles dames, qui se rendent aux matines un missel à fermoir d'argent à la main, jusqu'aux pêcheuses de crevettes, dont les jupes rouges goûtent la marée — tous étaient là, rangés comme aux jours des processions, et l'on trouvait parmi eux des mendiants, aux feutres rapiécés, et des barons porteurs d'étincelantes cuirasses et beaux comme des saint Georges. Les tisserands, les tapissiers, les orfèvres, les ciseleurs, les drapiers, les sculpteurs et les peintres étaient dans leurs habits de travail. Des jeunes filles, aux coiffes blanches pareilles à des ailes de mouettes, illuminaient la foule de leurs frais visages et tous les yeux étaient brillants et doux, les mains se joignaient, les palmes s'agitaient lentement, comme un champ de • blé que baise l'espace, et l'on entendit le vieux sonneur, avant de descendre de sa tour, lancer une dernière fanfare aux quatre points cardinaux. — Gloire au Seigneur! Gloire au Seigneur! Jésus, sur son âne, avançait lentement. Son visage était comme une source de lumière. On a dit de saint Paul et de saint Jacques que, lorsqu'ils passèrent un jour à travers une ville de pestiférés, leur ombre, au cours de leur marche, guérissait les malades. Jésus, lui, répandait, au reflet de son personnage, de la ferveur et de la foi. Son ombre était blanche 3