Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/444

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—436— Cependant les choses du chemin lui étaient tristes immensément. Les. fenêtres des dernières cahutes avaient des regards implorants. Les rochers, aux fronts sévères, aux faces frustes s'adoucissaient d'une pitié humaine. Et les paysages qui lui avaient été familiers semblaient s'émouvoir de son exil. Plus loin, les surgeons des buissons se détendaient comme des tiges d'acier, l'encerclant au passage. Plus loin encore, les bruyères enchevê traient ses pas de lianes souples comme des couleuvres. En une vaste conspiration la nature se soulevait pour elle, s'efforçant de la retenir. Mais elle passait. C'en était fait, c'en était fait ! de ses souvenances de quarante ans, de ses longues gardes immobiles, appuyée sur sa gaule, devant les solitudes recueillies ; des longs aguets devant les mystères des êtres, des choses ! Elle allait, elle allait vitement, sans plus regarder en arrière, sans plus s'attarder aux appels des voix qui se levaient derrière elle, plaintives, implorantes. Elle s'enfonçait en les chênaies, quérant la paix des combes profondes. Et la forêt, pour elle, s'enflait de symphonies sauvages, puissantes et touffues. Le frisselis des feuilles enveloppait de fioritures caressantes un thème de tristesse infinie déroulé par les cimes lentes. La forêt chantait à la Monparonne le poème des souffrances éternelles, la conviant à mêler ses douleurs aux siennes, afin qu'elles s'atténuassent, de jour en jour plus dif fuses, fondues peu à peu en leurs grandes voix ! Et arriva-t-elle aux pays meilleurs ! Gagna-t-elle sa vie en chantant aux gens de là-bas, de sa voix aux notes fêlées, aux notes trouées désormais comme des orbites de trépassés, des chansons plus douces que des soirs de moissons : J'ai plein, Madame, des fraises... A l'coupette. Monsieur le curé!... Et des chansons mélancolieuses ainsi que les sonnailles en les vallées perdues : Ten souvient-il, ô ma bonne Marie... Les gens delà les vaux qui sont timides et doux, et pleins d'honnêtetés, lui baillèrent- ils toujours l'aumône nécessaire à ses jours : un hochon de pain bis, une bonne couenne de lard, et parfois, comme un régal, un mor ceau de la dépouille d'un marcassin ? Dieu l'ait-il voulu pour toi, la Mon paronne, ô pauvre déchue, dont je me suis toujours souvenu ; bonne Monpa ronne d'autrefois, plus gaie qu'une fête de Pâques ! Sully Huntley