Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/446

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—438— « sorte de discours plus capable de rendre les émotions, montre ce même « besoin du rythme dans tout son développement. Et si nous nous rappe- « Ions que la danse, la poésie et la musique sont nées ensemble, sont à « l'origine les parties constituantes d'un même tout, il est clair que le mou- « vement fait en mesure, qui se retrouve dans chacune des trois, suppose « une action rythmée du corps entier, l'appareil vocal compris et qu'ainsi « le rythme de la musique n'est qu'un résultat plus subtil et plus complexe « de la relation entre l'excitation mentale et celle des muscles. » Le rythme est donc un fait physiologique ; il est inhérent aux fonctions de certains organes ; il se manifeste en des formes plus accusées sous l'impulsion de certaines émotions physiques ou morales. Au moment où Archimède trouva la solution de son fameux problème, son cœur a certainement battu plus vite et lorsqu'il se mit à courir nu par les rues de Syracuse en criant : « Eurêka ! eurêka ! » ses pas et ses cris étaient rythmés par son émotion. On peut s'expliquer ces faits en considérant que la grande quantité d'énergie accumulée soudainement par l'émotion cherche à se décharger et ne trouve point d'issue plus commode que les mouvements musculaires les plus habituels. Ces mouvements sont ici sans but externe. Ils diffèrent du mouvement que fait le bras pour atteindre ou pour écarter un objet, du mou vement que fait la jambe pour porter le corps vers un lieu déterminé ou pour l'en éloigner. C'est le mouvement pour le mouvement. On peut dire que ces ' mouvements n'ont d'autre but qu'eux-mêmes ; ils sont déterminés par la loi du moindre effort qui met en jeu les muscles les plus entraînés, qui déter mine et limite leur action par la moyenne de l'effort correspondant au degré d'intepsité de l'énergie à dépenser et qui, limitant cette action à cette moyenne, la ramène aussitôt à son point de départ et la reproduit indéfini ment jusqu'à ce que la fatigue ou une nouvelle émotion vienne l'arrêter ou la modifier. Ces mouvements n'ont d'autre utilité que de nous procurer un bien-être en nous débarrassant d'un excès d'énergie. Ils cessent d'eux-mêmes lorsque cet excès est dissipé. Les rythmes perçus au dehors trouvent dansnotre organisme un écho. Non seulement l'audition d'un morceau de musique fortement rythmé, — une valse, une marche militaire, — produit en nous des émotions qui tendent à se traduire par des gestes appropriés, mais on a observé que le cœur ressent une propension à régler ses battements sur les rythmes perçus par l'oreille. Il y a là une sorte de suggestion, productive d'un bien-être ou d'un malaise. Qui ne s'est senti pris d'une vague angoisse en entendant le débit précipité et saccadé d'un orateur trop passionné? Que de sentiments variés ne peut-on provoquer par les divers rythmes selon lesquels on frappe un instrument de percussion, le tambour, par exemple, ou les casta gnettes? Certains rythmes produisent ainsi une sensation de plaisir, d'autres une sensation de peine. Il est donc possible au moyen du rythme seul de susciter des émotions. Mais il y a plus. Nous allons voir que le rythme ne produit pas seulement des effets physiologiques et sentimentaux.