—439— Selon Schopenhauer (Suppléments, XXXIX) le rythme est dans le temps ce que la symétrie est dans l'espace, c'est-à-dire une division en parties égales et correspondantes, qui se subdivisent à leur tour en parties secon daires. Le rythme et la symétrie sont des manifestations de Yordre. Le rythme n'est autre chose que l'ordre appliqué aux sons. Et qu'est-ce que l'ordre ? C'est une synthèse de parties équilibrées entre elles et reliées les unes aux autres par une même unité; c'est, selon l'antique et toujours véridique formule, « l'unité dans la variété ». Quand l'ordre se manifeste directement par la connaissance intuitive, il prend le nom d'harmonie Si l'ordre affecte la sensibilité, il cause à l'homme un ineffable plaisir, car dans le sentiment de l'ordre l'homme reconnaît la loi profonde et mystérieuse de l'univers : c'est l'essence du plan du monde, c'est la loi primordiale de l'Etre qui se révèle à lui (i). « Rien n'existe qu'à sa place et selon sa loi » , tel est le principe qui s'affirme chaque fois que se perçoit l'ordre. Et chaque fois que l'homme perçoit ce principe, il en éprouve un sentiment extraordinaire de plaisir et de confiance. Aussi l'homme supé rieur cherche-t-il à imprimer à ses créations le cachet de l'ordre. L'ordre est la marque suprême de l'esprit humain, la signature de l'intelligence créatrice. La versification rend l'ordre sensible. Grâce à elle l'ordre frappe la sensi bilité en même temps que l'entendement perçoit le sens "des mots et des phrases. On a divisé les sons en unités simples et en groupes d'unités ou unités composées. Un groupement régulier d'unités composées au premier degré détermine les unités composées du deuxième degré, et ainsi de suite. En français, l'unité simple, c'est la syllable, sans distinction de longue ou de brève, de faible ou de forte, et sans excepter les syllabes muettes (si ce n'est à la fin du vers). Mais ces unités simples n'ont d'importance que par leur groupement. Les groupes irréguliers, qui ne se balancent qu'à peu près, c'est la prose. Les groupes réguliers, construits sur des plans fixes, constituent les vers. IWAN GlLKIN (A suivre.) (1) Pour l'objectiviste. — Aux yeux du subjectiviste l'ordre n'a pas une moindre importance; c'est la loi primordiale de son propre esprit qui lui est révélée, c'est-à-dire le •> principe de la raison suffisante », le miroir de l'univers.
