Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/452

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-444— Je dis un drame légendaire, quoique le sujet soit emprunté à l'histoire, parce que l'action se passe dans une Ardenne selon le cœur du poète, dans une de ces provinces chimériques où les écrivains d'aujourd'hui aiment à transplanter les fleurs oubliées des anciennes chroniques. L'argument du drame est fort simple. Le vieux duc de Taillemark est affligé de l'inimitié qui règne entre sa jeune femme Etgive et le prince Rodolphe, l'aîné des fils qu'il a eus d'un premier mariage. Or, le sentiment que le vieux duc, et le prince et la duchesse eux-mêmes prennent pour de la haine, c'est un amour maladif et frénétique, un effroyable incendie charnel qui, longtemps couvé, éclate enfin avec rage. Etgive et Rodolphe suc combent et le vieux duc, averti par la dénonciation d'une camériste, livre au bourreau les amants incestueux. On s'est amusé à rapprocher ce drame — tiré de la même chronique ita lienne que la Parisina de Byron — d'une foule d'œuvres disparates qu'il est inutile d'énumérer. Le jeu est trop enfantin, car le sujet des Amants de Taillemark est un des cinq ou six thèmes éternels qui résument la psycho logie de l'amour et auxquels on peut ramener toutes les tragédies érotiques. Au lieu de consulter le Bottin des chefs-d'œuvre, examinons plutôt le drame de M. Maurice Desombiaux. Il appartient évidemment par sa forme — à part une ou deux scènes accessoires — à un genre dédaigneux de toute action, extérieure ou inté rieure, en un mot, à cette espèce de théâtre qu'on pourrait appeler le théâtre immobile, et qui a son expression la plus complète dans les Mystères et les Autos sacramentales. Imaginez des personnages de vitrail, éclairés de feux légendaires, se mouvant dans un décor fabuleux où leur geste se fige en une attitude caractéristique. Ils ne parlent pas, ils se chantent, ou plutôt, c'est M. Maurice Desombiaux qui les chante, qui les chante en prose poétique, et qui, selon moi, a le tort de ne pas les chanter en vers. Cependant, ma critique principale ne vise pas le choix de la forme. On a beau faire du théâtre immobile, du vitrail chantant, lorsqu'on s'attaque à ce redoutable lieu commun passionnel : l'amour s'exprimant par la haine, la haine se résolvant en amour, il faut au moins nous montrer la transmu tation des monstres. Or, M. Maurice Desombiaux escamote la métamor phose : il se contente de nous annoncer qu'elle est accomplie. Ce tour de gobelet nous vaut, il est vrai, un duo d'inceste, d'une belle envolée lyrique, mais qui ne suffit pas à cacher le vice capital de l'œuvre. Ce que M. Mau rice Desombiaux nous devait, c'était de plonger la torche dans l'âme de ses personnages, afin de les éclairer psychologiquement. On m'objectera peut-être que, dans ce cas, le drame n'eût plus été du théâtre immobile, et que M. Maurice Desombiaux eût risqué de briser ses vitraux chantants. Il se peut faire, et je ne nie point qu'il n'en fût résulté quelque désaccord de forme. Mais le trou, le trou qui se creuse à la place de la scène principale du drame, le trou eût été bouché. Cette critique formulée, je n'ai plus qu'à louer la musique, c'est-à-dire les phrases sonores et bien armées que M. Maurice Desombiaux a prêtées, sans compter, en poète prodigue, aux Amants de Taillemark.