Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/453

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—445— Un de nos collaborateurs français, M. Allier Jhouney, le poète de l'Etoile sainte et des Lys noirs, publie la troisième partie de son Livre du Jugement. Après avoir chanté la Création et la Chute, il célèbre aujour d'hui la Rédemption. M. Alber Jhouney appartenant à l'école ésotérique, et le Livre du Juge ment étant une épopée initiatique, j'ai presque envie de me récuser. Je n'ai à connaître ici, en effet, que du mérite littéraire des œuvres, et non des doctrines ésotériques qu'elles peuvent receler. M. Alber Jhouney a, d'ailleurs, exposé lui-même, en une longue pré face, ses idées sur l'épopée initiatique et sur le symbole. J'y renvoie les spécialistes. Il me sera permis toutefois de détacher de cette étude intéres sante deux fragments remarquables, dont la portée est purement littéraire et que j'engage fort certains jeunes poètes à méditer. En quelques phrases lumineuses, M. Alber Jhouney apprend aux sym bolistes, qui l'ignorent profondément, le sens exact du terme symbole : « Le symbole initiatique, dit-il, est l'expression figurée, mais non arbi traire, de vérités religieuses, morales, philosophiques, physiques même, dont il forme l'incarnation. Osiris, mort et ressuscité, est un symbole ini tiatique parce qu'il représente, concentrée en une seule image, toute une série de vérités : i° Dieu émanant le monde, puis le rappelant à lui; 20 les cycles de l'évolution, tour à tour descendante et réascentionnelle; 3° la révo lution des âmes, allant de Dieu au monde, et du monde retournant à Dieu ; 40 la mission des justes et des héros manifestant le Divin par leur sacrifice; 5° l'enseignement du vrai par son adaptation à l'intelligence inférieure; 6° la volonté, perfectionnée par ses épreuves dans la sphère matérielle, transfigurée dans la sphère idéale ; 70 la course quotidienne ou annuelle du soleil, de la lumière à l'ombre, puis de l'ombre à la lumière, de l'été à l'hiver, puis de l'hiver à l'été, etc. Un symbole initiatique doit, par consé quent, offrir un lien naturel avec une série de vérités, » M. Alber Jhouney exprime ensuite, avec éloquence, les analogies de la poésie française avec la grande sculpture : « L'idéal, dit-il, l'enferme en des limites, étroites en apparence, de lumière et de majesté. Mais, de même qu'un sculpteur profond, dans les bornes que la noblesse de son art lui impose, sait découvrir l'originalité délicate et intime, l'originalité dans la beauté même, et dépasse ainsi, de toute la hauteur de l'absolu, les originalités de barbarie, de contorsions et de laideur, ainsi le poète doit s'élever, en demeurant soumis à cette har monie austère de France, jusqu'aux découvertes pures et nobles, dont la nouveauté n'attire pas les yeux grossiers et plaît au sourire silencieux des vierges de Léonard, des statues impérissables et des saints recueillis dans leur mélodieuse béatitude. » Voilà de hautes et nobles paroles, qu'on ne nous fait plus assez entendre, et auxquelles j'applaudis avec bonheur. M. Alber Jhouney reste fidèle à cette harmonie austère dont il parle