Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/456

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-448- formules. » Retournons donc à la nature ; necoutons plus que notre ins tinct, et imitons ce qu'il y a de meilleur dans l'homme : le chien. En vertu de ces principes, André Maltère, après avoir professé ses doctrines révolutionnaires pour le plaisir d'avoir des idées nettes, et Claire Pinchon- Picard, après avoir épousé André Maltère pour mener à bien une enquête sur le mouvement social, et la petite princesse, après avoir été, d'abord par jeu, puis par amour, la maîtresse d'André Maltère, se retirent à la cam pagne, dans un phalanstère où tout est commun, les doctrines sentimen tales, les repas, le gîte et le reste. Et voilà comment Fourrier sort de Jean-Jacques, avec un faux air de Rétif de la Bretonne. Si Voltaire revenait, il écrirait à M. Maurice Barrès : « Votre Ennemi des lois est ravissant ; il me donne envie de marcher à quatre pattes. » C'est l'apothéose du chien. M. Théodor de Wyzewa, dans ses contes chrétiens, Le Baptême de Jésus et Les Disciples d'Emmaiis, arrive, par un chemin différent, à une conclu sion semblable. Lorsque après avoir gâché leur vie pour avoir mal inter prété les paroles du Christ, Cléophas et Siméon découvrent la communauté fondée par Alphée, l'humble valet d'auberge qui les a comprises, ils s'aper çoivent que le bonheur est dans le plaisir. Chacun se choisit le travail qui lui convient, chacun y travaille aussi longtemps qu'il lui convient, ou ne travaille pas du tout. Le bonheur, s'est d'avoir des désirs qu'on peut tou jours satisfaire. L'amour est libre, et cette liberté supprime les concupiscences défendues. Apprendre, c'est oublier, et penser, c'est s'abrutir. Il n'y a pas d'écoles, sauf celles où l'on donne l'exemple de la douceur et de la sensibi lité. Les livres sont remplacés par des lèvres roses et par des bras tendres. Il n'y a pas d'art: c'est la nature qui est la vraie, la seule œuvre d'art. Telle est l'organisation de cette petite communauté exemplaire, qui ne pratique aucun culte religieux, mais qui se laisse baptiser de bonne grâce par les apôtres, et qui construit même une église, où l'on célèbre les louanges de Dieu sur les modes variés du plain-chant, « pour consoler les vieillards, pour faire pleurer les jeunes filles et pour amuser les enfants ». Et la vie continua, nous dit l'auteur, « tranquille et douce, comme par le passé ». Nous voilà bien près du phalanstère de M. Maurice Barrès. Marina et Claire étonneraient peut-être dans le village d'Alphée, mais ils ne scanda liseraient guère cette Thélème où, pendant le repas, devant les étrangers, comme dans les tableaux de Jordaens, le mari caresse sa jeune femme. Il y a place pour les héros de M. Barrès dans le village de M. Théodor de Wyzewa. La même sensibilité se retrouve dans les Disciples d'Emmaiis et dans l'Ennemi des lois. Mais M. de Wyzewa et M. Barrès s'abuseraient étran gement s'ils nous donnaient cette sensibilité comme un phénomène de notre temps. Cette sensibilité, c'est celle de Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chaumette; c'est celle des bucoliques et des pastorales qui précédèrent la Terreur. Les toiles de Greuze sont l'expression plastique de cette crise universelle, et le personnage dominant dans la littérature