Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/457

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—449— d'aujourd'hui, c'est de nouveau l'amant de la nature, c'est a l'homme sen sible » de la fin du XVIIIe siècle. Peut-être les Barrès et les Wyzewa d'alors étaient-ils moins préoccupés d'Ignace de Loyola et de l'Evangile, tandis que nos Bernardin de Saint-Pierre et nos Rousseau font des conversions retentissantes. Grâce à eux, le diable, un de ces jours, fera sa première communion. Malheureusement pour les uns et pour les autres, de telles œuvres, quand elles ne sont pas un rêve poétique, apparaissent comme un hommage que la fantaisie d'un temps blasé rend à la vertu, ou, ce qui est pire, comme le libertinage zézayant d'un vieillard tombé en enfance. Au fond, pour le chrétien qui croit à la tache originelle, ou pour le penseur convaincu de la perversité naturelle de l'homme, ces prédications semblent monstrueuses. Je suis prêt à admettre, si l'on veut, que chez des êtres exceptionnels, une sensibilité affinée puisse, dans certaines circonstances, tenir lieu de moralité, mais je n'aime pas que sous prétexte de nous bâtir une Salente.on prenne un caniche pour législateur. C'est très bien de prêcher la pitié et le renoncement, mais il ne faut pas remplacer l'amour par la chiennerie. Si mes lecteurs pensent comme moi, je les engage à se consoler de M. Barrès et de M. de Wyzewa en lisant l'Etui de nacre et la Terre pro mise. M. Anatole France et M. Paul Bourget sont en ce moment, selon la vieille expression française, fort « aboyés ». Il n'en est pas moins vrai qu'en ce temps d'anarchie littéraire, la belle prose cristalline de M. France est un excellent contre-poison, et que, devant les étranges prédicateurs d'aujour d'hui, il y a un noble courage à étudier, comme le fait M. Bourget, les mystérieux problèmes de la responsabilité et les cas de conscience les plus délicats de la vie morale. L'espace me manque pour analyser ces deux œuvres. Mais j'ai déjà proclamé mon admiration pour M. Anatole France, et Cosmopolis, qui verra le jour à l'heure où paraîtra cette chronique, me permettra de m'acquitter envers M. Paul Bourget. ALBERT GlRAUD