Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/49

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—4i- vures qui symbolisent les saisons. Marie me demandait à tout moment des explications et, pour mieux les comprendre, inclinait sa tête espiègle sur mon épaule ; je sentais contre ma joue le chatouillement de ses fins cheveux blonds, sa bouche carminée me souriait avec tendresse et ses yeux bleus plongeaient hardiment dans les miens leurs regards caressants. Nous allions passer à la Bible, quand la conversation engagée entre les personnes groupées autour du poêle, cessa tout à coup. « Chut ! me dit Marie, en posant un doigt sur ses lèvres, on va conter une fable. » Nous croisâmes les mains sur la table, en nous tournant du côté d'un vieillard que tout le monde contemplait avec curiosité, et qui paraissait réfléchir, la tête appuyée sur son poing fermé. A la fin, il redressa son maigre buste et, après avoir promené sur les assistants un regard mali cieux, il commença : « Il y avait une fois... A ce moment la porte s'ouvrit, une tête apparut dans l'entre-bâillement et une voix effrayée cria : — On vient de trouver un mort dans la campagne ! . . . Tout le monde fut saisi de terreur et nous nous précipitâmes hors de la maison, à l'exception de quelques femmes. La rue était pleine de gens qui couraient au galop. La lune venait de se lever ; son mince croissant, aux bords légèrement irisés, brillait comme du cristal dans les profondeurs du ciel, des milliers d'étoiles scintillaient, et deux rangées de peupliers, qui dressaient leurs maigres squelettes le long des prairies, répandaient sur la route des ombres bizarres et mystérieuses. Devant nous, les têtes de la foule ondulaient dans un grand bruit sourd ; ce tumulte monotone était parfois rompu par un appel strident auquel répondait une voix enfantine et apeurée. Au bout d'un quart d'heure, nous étions en plein champ, et bientôt nous aperçûmes un attroupement au milieu d'un chemin de terre. Des gens, disposés en cercle, se penchaient au-dessus du cadavre d'un homme, étendu sur le flanc. Un des assistants, qui s'était mis à genoux, tirait de temps à autre une allumette de sa poche, la frottait contre sa cuisse, puis la promenait devant la figure du mort. On voyait alors son visage pâle et immobile, ses yeux blancs entre leurs paupières mi-fermées, ses lèvres pincées, les rides de ses joues et de son front; il avait les cheveux chenus ainsi que la barbe, qui s'étalait largement sur sa poitrine ; son bras gauche était replié sous lui, tandis que sa main droite pendait au-dessus du sol, la paume en l'air ; avec son corps énorme, qui barrait tout le chemin, il ressemblait à un guerrier des vieux âges. — Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui connaisse ce mort, demanda, en se relevant, l'homme qui s'était agenouillé auprès du cadavre ? 4