Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/68

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—6o— La société en est faite, elle en est maçonnée ! Elle s'est formée par eux : étant née de leur force d'inertie et de la tendance qu'ils ont à redevenir des choses. Les corps attirent les corps; des blocs d'êtres sans profondeur se précipitent les uns sur les autres et s'agglutinent et ainsi se forment à la surface de la vie ces îlots, ces îles, ces continents qui rongent et trouent d'énormes plaies les nappes d'eau spirituelles. — Les sociétés se forment toutes seules. Les hommes ne peuvent que les perfectionner, en les traitant par le détail, en commençant le travail par le sommet, en cultivant et en propageant peu à peu ce qu'elles ont de rare et d'exceptionnel, en entretenant en elles « l'esprit de renaissance ». Les sociétés sont des associations et des reformations de la matière contre l'esprit ; elles sont la réaction ; c'est l'esprit qui fait la vie. Elles sont en état paradoxal et révolutionnaire devant la vie essentielle, ayant pour raison d'être de la détruire en la fixant. Elles sont un kyste, une tumeur au corps de l'humanité, un caillot qui deviendra caillou ; de la mort en formation ; l'agitation qu'on y voit n'est qu'un grouillement de décompo sition. S'il semble aujourd'hui que les rôles Soient changés, et si la réaction prend un aspect d'action, c'est que les grosses masses d'hommes qui se meuvent sur l'horizon interceptent par instant les rayons. Mais des rayons qui se brisent sur ces masses la lumière se reflète jusqu'à nous. Il y a de part en part, dans le temps, de splendides irruptions de vie, de géniales pulsations d'être par lesquelles la renaissance demeure perpétuelle. Les forces en sont dispersées dans la société trop puissante. On ne retrouve qu'une à une aujourd'hui les ramilles issues des grandes floraisons. Ce sont des ramilles délicates qui ont échappé à l'écrasement. Chaque fois qu'on en retrouve une, il semble qu'on retrouve un miracle. Elles vivent esseulées entre un peu d'eau et de ciel ; elles sont là comme un rappel^d'ailleurs. Leur parfum autochtone nous surprend de son charme nouveau comme un parfum exotique et, réveillant notre sensibilité, nous apporte la nostalgie d'un pays qui était le nôtre, que nous n'avons pas quitté, où, pourtant, nous ne vivons plus. Les âmes qu'anime le désir de renaissance sont des âmes d'humanité meilleure que la civilisation a refoulées; elles demeurent à ses abords, cherchant ce qui peut survivre des débris de la perpétuelle collision ; elles s'augmentent de ce qu'elles sauvent. Ce sont des âmes de province ; pour tant ces âmes ont un corps, comme dit Flaubert ; si elles se sont écartées i