Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—81— Et cet autre, merveilleux, fleur éclose sur un fumier de mystification puérile : Mille rêves en moi font de douces brûlures. Et cent autres encore du même jet, du même rhythme et de la même couleur. Ajoutez, enfin, que le Reliquaire contient les Effarés, les Assis et les Chercheuses de Poux, troix chefs-d'œuvre parfaits, absolus, qui sont destinés à étinceler comme des joyaux dans le fatras des anthologies futures. Le visionnaire des Illuminations et d'Une saison en Enfer n'est pas moins génial que le poète. Ces kaleidoscopes sont d'une richesse aveu glante et folle. Jamais, pas même chez Lautréamont, torrent plus splen- dide d'images énormes et féeriques ne roula, plus éperdument, au travers d'un cerveau de proie Mais, au rebours des beaux poèmes du Reliquaire, ces admirables divagations ne sont que des ébauches, - des cris sans suite lancés au passant par un frénétique qui poursuit son ombre. Arthur Rimbaud ne fut pas seulement, dans certaines de ses œuvres, un poète enfant de la plus haute race. Il fut père, intellectuellement, d'une lignée nombreuse et bariolée. Ce gamin a influencé M. Paul Verlaine, qui sans lui n'aurait peut-être écrit ni les Romances sans paroles, ni tant de poèmes où l'auteur des Fêtes galantes a mis en jeu des formes prosodiques plus molles et plus négligées. Ce gamin, dans les Illuminations et dans Une Saison en Enfer, a prêché, en 1875, toutes les petites religions d'aujourd'hui. Ce gamin, par son sonnet des Voyelles, a suscité les Cagliostro les plus récents. Il n'y a presque pas, en France, de prétendu novateur qui ne doive quelque chose aux recettes et aux imaginations d'Arthur Rimbaud. De même que ses beaux poèmes attestent la puissance embryonnaire de son génie, cette postérité témoigne de la force de son esprit. Mais je doute qu'il eût été ravi de sa descendance, lui qui, dans Une Saison en Enfer, dénonçait la vanité de ses recherches, étudiait en pathologiste la crise littéraire qu'il venait de subir, et traçait sous certains de ses poèmes destinés à devenir célèbres, cet aveu que nul ne paraît avoir lu : « Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté. » M. Jules Destrée nous envoie, en guise de carte de visite, une jolie parodie du Journal des Goncourt. Fantaisie ironique mais sans fiel, qui est une sorte de critique à sa manière. Le Journal des Destrée, qui émane de M. Jules Destrée tout seul, se passe, encore plus que celui de M. Edmond de Goncourt, à table. On dîne énormément à Marcinclle, et la lecture de ces pages spirituelles pourrait être conseillée comme apéritif. Et les langues, à ces dîners-là, sont aussi aiguisées que les couteaux. M. de Goncourt est gentiment plaisanté en quelques phrases : « 25 janvier. — On comprend le suicide, un dimanche soir. » « 25 juin. — J'ai connu un petit garçon qui aimait à se placer près du cocher, ou sur l'impériale des omnibus : il y était bien mieux pour cracher sur les passants. » Et celle-ci surtout, qui clôt une description de maison provinciale : « Faire avec cette donnée une nouvelle dans le genre des Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, mais plus belle. » Pour compléter mon opinion sur le Journal des Destrée, je transcris ici quelques fragments du Journal de Pierrot : G