Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/91

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—83— pièce, au contraire, elle est pensionnaire encore. Si bien que j'engage fort les curieux d'impressions délicates et profondes, à lire d'abord l'Etude de jeunefille, qui, malgré le mensonge des dates, est une préparation à Miette. La Miette de VEtude est donc plus petite fille que la Miette de la nou velle. Mais c'est la même petite âme capricieuse, vaillante et douce. Dans Miette, M. Henry Maubel la raconte. Dans l'Etude, il la fait agir. La ver sion dramatique est aussi fine, aussi charmante, aussi personnelle que la version du conteur. Mais elle est plus nette et plus franche. Le dialogue, loin d'avoir desservi M. Henry Maubel, — il y a d'ailleurs beaucoup de chapitres dialogués dans Miette, — lui a permis de dessiner aux yeux le délicieux personnage qu'il avait si joliment dessiné à l'esprit. Un mathé maticien dirait que la comédie est la preuve de la nouvelle. Je parierais bien que M. Henry Maubel nous montrera quelque jour une Miette tout à fait jeune fille. Ce jour-là, il pourrait réunir en un petit bréviaire d'analyse les trois portraits écrits de Miette. Ah ! la charmante trilogie que cela ferait ! Après sa trilogie farouche et grandiloquente, — les Soirs, les Débâcles et les Flambeaux noirs, — M. Emile Verhaeren, nous donne les Apparus dans mes chemins. Le poète désordonné que l'on connaît s'y révèle sous un aspect nouveau, mais qui, pour les familiers de son œuvre, n'est pas imprévu. Après les soirs tumultueux, reflets d'un cerveau fébrile et tour menté, prêt à se tourner, comme un héliotrope, vers le soleil de la démence, après la débâcle de toutes les croyances et de tous les dogmes, après l'illumination tragique des flambeaux noirs, qui projettent leur clarté sombre et contagieuse jusque dans les derniers abris de la quiétude humaine, voici tout à coup que le poète, à demi calmé, mais pantelant encore de son mal, ressuscite en un livre étrange, plus inégal peut-être que les précédents, dans lequel, sur le paysage foudroyé des drames anté rieurs, se lève une blanche et frissonnante aurore. En vain il a mâché et remâché son hypocondrie, en vain il a bu les mauvais alcools de la maladie égoïste, en vain il croit avoir creusé toutes les passions, tous les vices et toutes les vertus jusqu'à leur fond commun d'absurdité misérable et gro tesque, voici que ses yeux aimantés par une clarté surhumaine se lèvent malgré lui vers le ciel. Oui, l'amour charnel est un leurre, l'orgueil, un fruit des rives de la mer Morte. Savoir, à quoi bon? Ce n'est « qu'ajourner ses doutes. » Toute force est vaine, et se meurtrit le front contre une porte de marbre. C'est la banqueroute de l'action et du rêve. Ils sont là tous, Les bâtisseurs d'orgueil avec des blocs de fer Si lourdement rejoints que ni les fleurs ni l'herbe, N'y trouvaient place où remuer leur printemps clair; Et les Flamels tombés des légendes gothiques, Et les avares blancs qui se mangent les doigts, Et les guerriers en or immobiles, la croix Escarbouclant d'ardeur leurs cuirasses mystiques Et leurs femmes dont les cheveux étaient si doux,