Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

leux d'une candeur renaissante, dans le giron d'une foi enfantine, la foi des humbles, des ignorants et des saints. La transfiguration ne m'étonne pas. Ceux d'entre nous qui savent lire — il ne suffit pas de savoir écrire pour savoir lire — se rappelleront certaines strophes des Flamandes et maints poèmes des Moines, où, sous des trucu lences et des déploiements de vigueur, se dénonce l'implorateur d'aujour d'hui. N'est-ce pas dans les Débâcles que chante et détonne délicieusement le leitmotiv de l'ange gardien ? Mais le poète lutte encore avec lui : Hélas! doux, tranquille et clair, il ne ferait Qu'un bruit, sur mon cerveau, de blanches étincelles, Que mon absurdite bougonneusc viendrait Lui déchirer les yeux et lui casser les ailes. La transformation de M. Emile Verhaeren ne doit donc pas nous sur prendre. Je ne sais si elle est définitive, et si le poète ne reviendra pas un jour à ses fureurs et à ses iconoclasties d'antan. Quoi qu'il en soit, même si le livre d'aujourd'hui devait être démenti par le livre de demain, félici tons M. Verhaeren d'avoir traversé une crise mystique, puisqu'elle nous vaut une œuvre savoureuse et personnelle. M. Emile Verhaeren serait surpris — et il aurait le droit de l'être — si je ne lui reprochais pas le débridement de sa langue et l'incorrection de ses vers. Il rudoie la prosodie — même la plus récente — d'une façon par trop cavalière, et je ne veux pas lui laisser croire qu'il aît besoin, pour s'imposer, d'avoir recours à des pétarades de phrases et à des excentricités de forme absolument inutiles. Ce n'est pas d'elles que lui viennent son talent ni son originalité. ALBERT GlRAUD Les Charneux, mœurs wallonnes, par Georges Garnir. Bruxelles, Lacomblez. Henriette Charneux, l'héroïne de ce roman, n'a pu se faire aimer de son mari. Olivier Charneux rencontre une jeune veuve, Jeanne Vallier ; ils s'éprennent à jamais l'un de l'autre. L'épouse ne tarde pas à découvrir l'adultère; mais Olivier est une sorte de grand enfant malade, pour qui Henriette se sent plus de pitié encore que d'amour. Elle souffre et se tait. Il meurt sans qu'elle se soit vengée ; la haine s'est amassée au cœur de l'épouse. Or, voici que Gaston, leur fils, rencontre à son tour, par une fatalité, Adrienne, la fille de Jeanne Vallier ; ils s'aiment ignorants du crime qui les sépare. Mais Henriette n'a que trop souffert ; l'épouse s'est tue, la veuve peut enfin se venger. Gaston n'épousera pas Adrienne. Un malheur divers mais également cruel opprime les mères et les enfants. La haine de Henriette ne désarme que le jour où Jeanne, se croyant le seul obstacle au bonheur des enfants et pensant ainsi expier l'ancienne faute, tente de se tuer. L'auteur laisse entrevoir alors un avenir de paix et de pardon. Telle est la donnée simple et riche des Charneux. L'action se déroule dans un décor belge et prête à des épisodes. Nous avions assisté à l'éclosion de ce livre. Nous craignions de ne pas lui trouver le charme de la nouveauté, cet imprévu des œuvres qu'on n'a pas vu croître et qu'on admire, tout à coup, comme les mystérieux pro