Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/94

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—86— duits de la nature, dans une floraison dont les secrets sont ignorés. En somme, cette lecture nous laisse une impression assurément diverse, mais souvent excellente : elle remue profondément et nous sommes convaincus de l'apparition d'une œuvre forte et vivante. Pourtant l'auteur est trop notre ami pour que nous lui taisions les défauts de son livre. Certains nous blessent réellement ; d'autres nous sont chers à l'égal des plus belles qualités. Il nous semble que cette œuvre, par bien des côtés indépendante comme pas une, est parfois trop servilement coulée dans le moule naturaliste. Telles descriptions sont fort longues et pourraient être supprimées sans que l'ensemble en souffrît. Il n'est que le peintre pour nous faire embrasser d'un coup d'œil tous les détails d'un tableau. L'écrivain, s'il ne peut résumer d'un mot son décor, doit du moins en faire saillir le détail sug gestif. Il faut reprendre, çà et là, aussi, un certain romanesque assez déplaisant moins dans la mise en scène que dans l'exposé de l'action et des caractères. Ces amants sont parfois d'une grâce un peu fade. Enfin, puisqu'il s'agit ici de « mœurs wallonnes ». nous avouons ne trouver guère chez les héros de ce roman le caractère particulierqu'annonce le sous-titre. Il n'y a de wallon, pensons-nous, dans les Charneux, que les pages descriptives du début et quelques portraits de personnages secondaires. C'est là, d'ailleurs, la moins bonne partie de ce livre. Mais faut-il s'en plaindre si ce livre est d'une portée plus large, si les Charneux, au lieu d'être une étude locale, sont une œuvre universelle et humaine? Car cette valeur humaine est incontestable. On peut regretter le début assez impersonnel, l'artificiel et la vulgarité voulue de certaines pages, un moment vient où l'auteur devient enfin lui-même! L'éloquence profonde et poignante des chapitres fait oublier l'art inférieur de quelques autres Le cœur est touché dans ses fibres les plus nobles. C'est l'attache ment au sol natal, exprimé en des lignes impressionnantes ! C'est l'amour ingénu des adolescents, l'ardente passion des cœurs purs, la sainte amer tume du devoir, les entraînements de la nature, l'amour maternel et l'amour filial, tout ce qu'il y a d'humain et de primitif. Et, par-dessus tout, on ne sait quel don de pleurs, une sympathie, une pitié sans bornes. Ces pages sont écrites de verve, comme les pages heureuses qui naissent d'un jet, quand le cœur est plein. Et l'auteur ne s'est pas compliqué à plaisir; rien n'est plus simple que son livre. Il a cru que la pure expression de ses sentiments serait toujours assez belle; rien n'est plus franc ni plus naif. Aujourd'hui les plus grands éloges, à force d'être prodigués, perdent leur valeur. Mais peu d'écrivains méritent ceux-ci. Un tel livre se fait moins admirer qu'aimer; il révèle moins un artiste qu'un homme. Plutôt touchante que belle, sans pose et sans artifice, l'œuvre de M. Garnir s'affirme par la profondeur et la sincérité vraiment rares des sentiments qu'elle exprime. Fernand Severin