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Page:La Justice du Var, année 6, n° 452 (extrait), 10 août 1890.djvu/13

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vue financier et réussit à faire manquer l’émission du 7 août. La Compagnie capitule, paye, et le même Petit Journal porte l’entreprise aux nues. Jamais on ne vit s’étaler plus audacieusement cynisme plus impudent.

Pour donner une idée des ruines sans nombre accumulées par de telles campagnes, il suffit de citer un fait qui montre avec quelle imperturbable candeur le public se laisse entraîner, duper, dévaliser.

Il semble que si quelqu’un doive être à l’abri du puffisme financier, c’est bien celui qui, moyennant finances, écrit l’article dont l’enthousiasme est tarifé. Eh bien, il y a, à Paris, un journaliste qui a fait trois articles, à raison de mille francs l’un, en faveur du Panama. Au troisième article, il s’était si bien convaincu lui-même, qu’il mit dix mille francs, toutes ses économies, dans l’affaire et perdit tout. Qu’on juge par là de ce que peut être l’exploitation du grand public. Qu’on juge des ruines causées par des campagnes comme celles du Petit Journal, avec ses trois millions de lecteurs. Et, pour mettre le comble à l’ignominie, on verra ce même Petit Journal, de maître chanteur éhonté se faire accusateur déshonoré. Le Petit Journal a fatigué le dégoût. (Très bien ! Très bien !)

Ce n’est pas tout. On a beaucoup parlé des hommes politiques dans les journaux : on n’a pas parlé des journalistes. La question ne laisse pas d’être intéressante. Ouvrez ce document, curieux entre tous, le rapport Flory, et vous en apprendrez de belles. Vous y verrez défiler quelques-uns des noms les plus connus de Paris. Des directeurs des journaux les plus en vogue, qui s’arrogent naturellement la part du lion — pour eux-mêmes — non pour leurs journaux. La tourbe des professeurs de vertu, les cyniques calomniateurs qui détiennent les journaux les mieux pensants, ont reçu de ce chef des sommes considérables ; quelques-uns, extravagantes.

Des députés, dont le nom figure sur cette liste, alléguèrent que n’étant pas encore membres du Parlement à cette époque, ils avaient le droit de se vendre. Ayant mis leur conscience en règle par cette déclaration, on les vit au premier rang des accusateurs. Un directeur de journal, également notable par son bruyant amour pour la vertu, a obtenu, au cours de la période des émissions de Panama, une situation importante dans la Compagnie de Suez, ce qui ne l’empêche pas, malgré ses dénégations, d’être inscrit pour une somme assez ronde au rapport Flory.

N’oublions pas les hommes du monde, touchant quelquefois de très près à ces mêmes professeurs de vertu, qui, dûment payés, après dîner, au fumoir, disaient négligemment :

— Mon cher, achetez donc du Panama, moi j’en prends, c’est excellent.

On a parlé de démoralisation, de corruption, on n’a peut-être pas porté la lumière partout où il aurait fallu ? Beaucoup ont crié bien haut à qui, d’abord, on aurait dû dire : Si vous retourniez vos poches ?