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Page:La Justice du Var, année 6, n° 452 (extrait), 10 août 1890.djvu/18

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Et tous, en chœur : Traître, concussionnaire, qu’on en finisse avec le bandit.

Un fils d’assassin, dans les couloirs, dit que j’avais du sang sur moi.

Si je me taisais : il est mort. Si je parlais : quelle audace ! (Appl. répétés.)

Hué, vilipendé, calomnié à trois millions d’exemplaires, bafoué, lâché, renié, jusqu’à provoquer chez d’anciens ennemis un haut le cœur de dégoût, lisant dans les journaux la nouvelle de mon arrestation ou de mon suicide, je me demandais si j’avais vraiment assez fait, dans le passé, pour mériter cet excès d’honneur, si j’étais vraiment assez redoutable, dans l’avenir, pour justifier cet excès de rage. (Bravos !)

Enfin, les dernières batteries se démasquèrent.

Il ne s’agissait plus d’accusations vagues. On précisait. On avait la preuve que j’avais vendu mon pays. C’étaient les mêmes hommes qui m’accusaient depuis six mois. Leur premier cri avait été : trahison. C’était encore leur dernier.

Mais cette fois ils en avaient trop dit : ils furent acculés à prouver. Vous savez le reste. Les faussaires démasqués proclamant eux-mêmes leur mauvaise foi en confessant qu’ils avaient voulu falsifier leurs faux pour cacher certains noms. La démission honteuse sous les huées, le vote unanime de flétrissure de la Chambre et l’abstention de la droite nous apportant le naïf aveu de sa complicité déshonorante.

J’aurais beau jeu si je voulais tirer parti de cette ignominieuse aventure, mais je me refuse ce facile avantage.

Il y a trois jours j’étais partie civile au procès de la Cour d’assises : Déroulède, pourchassé par la citation du parquet, avait honteusement fui le débat et le réquisitoire avait déclaré que, sans l’immunité parlementaire, la place de Millevoye serait au banc d’infamie entre deux gendarmes. J’ai parlé ; j’ai été indulgent aux accusés ; j’ai dit que la réparation que je demandais aurait, si elle m’était accordée, la signification d’une flétrissure de la Justice après la flétrissure du Parlement. J’ai obtenu plus que je ne demandais.

Je ne veux ni m’occuper de l’étrange troupe dont on a trouvé la main dans cette affaire, ni connaître les dessous de l’entreprise.

Je constate seulement que ce fut là la conclusion logique, fatale, légitime — si l’on peut employer un pareil mot — de toute cette campagne. Elle ne pouvait pas finir autrement.

Tant de scandales, tant d’accusations sans preuves, tant d’odieuses calomnies, pour aboutir à faire éclater quoi ? l’ignominie des accusateurs. Le coup était manqué.

La débandade vint, quelques-uns luttèrent encore pour l’honneur — pardon du mot. — D’autres philosophèrent. Le directeur d’une des feuilles les plus perfides fit sagement observer qu’on s’y était mal pris, et que, lorsqu’on voulait calomnier avec succès, il ne fallait pas offrir la preuve. Dans le même journal, un jeune énervé de dilettantisme, — qui n’est pas mal intentionné. n’étant pas intentionné du tout, — expliqua tranquillement à ses amis qu’ils avaient couru trop de lièvres et qu’ils