Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/36

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— À dix ans, j’étais mousse sous les ordres de mon oncle, qui me faisait fouetter tous les matins par son contremaître ; ce genre de déjeuner me déplut tellement, que je désertai chez les sauvages du Brésil. Les Portugais pourchassaient la tribu où je m’étais réfugié. Je marchai tout jeune sur le sentier de la guerre ; ce qui m’a valu, dès l’âge tendre, cette balafre et ce tatouage d’honneur…

À ces mots, le chevalier, défaisant sa cravate, fit admirer au vicomte Richard un collier blanc, noir et rouge, parfaitement dessiné sur sa peau.

— Grâce aux Portugais, poursuivit-il, voici une lèvre qui l’a échappé belle. Je m’étais si bien comporté sur le sentier de la guerre que Galamoumou-Assou-Nady, ou, si vous aimez mieux, Grand-Oiseau-Moqueur-Porte-Griffe, chef de notre tribu, me jugea digne d’être élevé à la dignité de guerrier. En conséquence, on devait me fendre la lèvre, y introduire un petit bâton, puis un plus gros, puis un plus gros, et bref, une rondelle plus large qu’une piastre d’Espagne qui m’eût défiguré pour le reste de mes jours. Dans ma naïveté de jeune civilisé devenu sauvage, j’étais heureux et fier de tant d’honneur et me prêtais de bonne grâce à la cérémonie, quand une fusillade à bout portant part de tous les buissons. Sauve qui peut ! je ne pus me sauver, et voilà justement ce qui me sauva. Que sont devenus les Botocudos de Galamoumou-Assou-Nady après une alerte si chaude ? Pour ma part, je n’en ai jamais rien su. Je me déclarai européen, on me fit tambour dans un régiment qui repassa en Portugal alors en guerre avec l’Espagne. Je fus pris sur les frontières par les Espagnols et mené en Biscaye, où je trouvai moyen de me faire contrebandier. C’est ainsi que je revis la France, ma patrie ; j’avais dix-huit ou vingt ans alors, et c’est ici, à proprement parler, que commencent mes aventures…