Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/54

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D’un accent douloureux, Béniowski s’écria :

— C’est peut-être le plus grand de mes malheurs ! La plus jeune des filles du gouverneur, mademoiselle Aphanasie de Nilof, un ange dont le sort m’affligera toujours, me fut destinée et bien malgré moi on alla jusqu’à nous fiancer. Sous peine de perdre mon crédit et de manquer à mes promesses envers les conjurés, je laissai faire avec l’espoir de m’emparer sous peu de jours du navire le Saint-Pierre et Saint-Paul alors dans le port. Par jalousie, Stéphanof, le prétendu Estève Finvallen, faillit m’assassiner ; mais il n’avait pas trahi notre complot, je ne permis pas qu’il fût puni. Enfin, l’insurrection générale éclate. Je voulais traiter avec l’excellent M. de Nilof, faire autant que possible qu’il ne fût pas compromis, le servir à mon tour ; j’eus la douleur de ne pas même lui sauver la vie. Transporté de fureur, il tire l’épée, se précipite dans la bagarre et y périt. J’en fus navré. J’étais devenu maître du gouvernement du Kamchatka. Les beaux-frères et les sœurs d’Aphanasie l’accusaient d’avoir causé la mort de leur père. Son infortunée mère vint me la confier comme à un futur époux. Ma situation était poignante. Dans ces tristes conjonctures, je fus secouru par un respectable prêtre catholique, ardent missionnaire, le père Alexis, mon compatriote, de dix ans plus âgé que moi, et qui, après avoir été notre aumônier en Pologne, devait être celui du Saint-Pierre et Saint-Paul. Il apaisa les angoisses de madame de Nilof et prenant sa fille sous sa pieuse sauvegarde, lui promit de la protéger jusqu’à ce qu’elle ne courut plus de péril. Nous devions avoir à ce sujet les plus douces illusions. Elles ont été cruellement déçues !

Béniowski s’interrompit avec un surcroît d’émotion. Touché de l’expression de ses paroles, M. Cerné de Loris fut sur le point de lui adresser des consolations de l’ordre le plus élevé.