Page:La Landelle - Le Dernier des flibustiers, Haton, 1884.djvu/93

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— Renoncez, croyez-moi, M. le comte, à vos aventureux projets. Vivez paisible et obscur ; jouissez de votre bonheur domestique, et redoutez prudemment les coups de vos nombreux ennemis.

Ces paroles répandirent un nuage sur le front du général. Il se rappela les situations analogues de son aventureux passé :

— Amis, ennemis, tous me crient à l’heure du départ repos et résignation – ou me menacent des plus effroyables malheurs… Mais une puissance supérieure me pousse !… La destinée m’entraîne !

Dans le langage de tous les hommes entreprenants, Destinée est le nom de cette ambition dévorante qui leur fait dédaigner les biens réels pour une gloire trop souvent imaginaire.

Un point grisâtre s’élevait sur l’horizon dans la direction du Nord, lorsque la Topaze, ouvrant ses voiles à la brise, mit le cap vers la grande île de Madagascar.

Du côté de l’Ouest, quand la Topaze ne fut elle-même qu’un point imperceptible, jeta l’ancre dans le Port-Louis, le Laverdi, monté par le baron de Luxeuil et un certain Sabin Pistolet se disant de Pierrefort à qui, dans l’Inde, le chevalier Vincent du Sanglier avait autrefois passé son épée à travers le corps, mais qui ne s’en portait pas plus mal.

Et à la même heure, assis à l’ombre d’un tamarin, sur un pan de muraille ruinée et tapissée de mousse, le sergent Franche-Corde, pillard, flambart et soudard accompli, méditait sur l’instabilité des choses humaines, tout en fumant une vieille pipe flamande qui avait exhalé ses parfums sous toutes les latitudes.

La brise du large emportait les vapeurs du cratère, avec les soupirs et les jurons du malheureux gouverneur par interim des possessions françaises dans l’île de Madagascar.