Page:La Lecture, magazine littéraire, série 3, tome 12, 1899.djvu/321

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Un jour, un homme hardi, — un capitaine célèbre par ses bonnes fortunes et ses duels — s’écria en la voyant passer dans son calme irritant :

— C’est moi qui te l’animerais, cette belle indifférente !

Elle, sans comprendre, mais indignée du ton, se pencha rougissante vers son mari :

— Paul, je crois qu’on vient de m’insulter ! dit-elle.

Le mari, se retournant, marcha à l’homme qu’indiquait le doigt ganté et, au milieu de promeneurs émus jusqu’à l’effroi, gifla le fameux capitaine Paul Bertral.



Pendant que les témoins discutaient les conditions de la rencontre, Paul Serre conduisait sa femme à la gare. Il l’envoyait à la campagne, chez ses parents, pour lui éviter de trop grandes émotions, car il croyait maintenant qu’elle pouvait s’émouvoir, puisqu’il avait vu son œil allumé par la colère, un instant.

Mais elle avait repris tout son calme, déjà. Et, avant de monter en wagon, tandis que son mari l’embrassait avec les ardeurs et les tendresses d’un adieu possible, l’impeccable ménagère qui, perdue en de graves réflexions, n’avait plus prononcé un seul mot depuis la scène de violence, lui faisait, de sa voix douce, cette suprême recommandation :

— Paul, tu trouveras, pendu à la troisième tête du porte-manteau de ta chambre, un pantalon gris. Mets-le pour te battre… Tu comprends, le gris, ça se lave.



Les adversaires, l’épée au bout du bras allongé, s’observent quelques secondes. Puis, d’un même mouvement hésitant, ils marchent l’un sur l’autre. Les pointes se touchent, frémissantes.