Page:La Lecture, magazine littéraire, série 3, tome 12, 1899.djvu/47

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aventure, dont il ne s’était jamais entièrement consolé, l’avait dégoûté du métier militaire.

C’est alors que, se sentant une réelle vocation pour les arts, il avait donné sa démission, et était venu s’installer à Paris, dans l’atelier où nous le rencontrons.

Il portait d’épaisses moustaches et de longs favoris châtains, autrefois appelés « Piccadilly pleureurs » et adoptés par Mr Sothern dans lord Drundeary. Cette mode était, à ce moment, une furie parmi la jeunesse dorée et — on aura peine à le croire aujourd’hui où même les gardes de la reine sont rasés comme des acteurs — l’estime qu’on avait pour ces favoris croissait avec leur longueur.

« What’s become of all the gold that used to hang and brush their bosoms ?… »

Le deuxième compagnon, Sandy Le Laird, vêtu, lui aussi, très sommairement, était assis devant son chevalet, travaillant à un petit toréador qui donnait une sérénade en plein jour, sous le balcon d’une belle Espagnole. Le Laird n’avait jamais mis les pieds en Espagne, ce qui ne l’empêchait pas de posséder une guitare et un costume complet de toréador, le tout acheté au Temple.

Sandy avait dans la bouche une pipe éteinte, dont la tête renversée répandait des cendres qui couvraient son pantalon.

Son visage bon enfant respirait la plus franche gaieté.

Il se mit tout d’un coup à entonner la Ballade de la Bouillabaisse.


A street there is in Paris famous
for which no rhyme our language yields
Roo Neuve day Petty shong its namc is — (rue Neuve-des-Petits-Champs)
The New Street of the little fields… »


Fils d’un brave et simple avoué, il était né à Dundee ; se sentant très peu de disposition pour succéder un jour à son père, il avait pris le parti de faire de la peinture, et était venu à Paris où il s’était fait une spécialité de toréadors.

Agenouillé sur le divan, les coudes appuyés sur le bord de la fenêtre, se tenait un troisième personnage, beaucoup plus jeune que les deux autres. Celui-ci était Little Billee. Il avait levé la jalousie verte et par-dessus les toits contemplait le panorama de Paris, tout en croquant un savoureux petit pâté à l’ail. Ayant été toute la matinée à l’atelier de Carrel occupé à faire de l’académie, il avait grand faim et mangeait de fort bon appétit.