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il passait l’année presque entière dans cette ruine de Boulbon dont un pavillon seul était à peu près habitable, écoutant dédaigneusement le bruit du siècle, évoquant avec amertume les souvenirs du passé. Sa vie avait eu toutes les traverses des hommes de son temps que n’avait pas atteints la terrible justice révolutionnaire, mais c’était en vain que la révolution française avait grondé sur sa tête et tout changé autour de lui : l’émigré, rentré en France, n’avait rien oublié ni rien appris. Sous la restauration, il bouda le roi Louis XVIII, qu’il traitait de jacobin ; après la révolution de juillet, pour ne pas payer directement l’impôt au roi Louis-Philippe, il fit cession de tous ses biens à sa femme. Ces faits peignent l’homme.

On écrirait une légende curieuse en rassemblant les traits du même genre qui se racontent encore aujourd’hui en Provence sur le vieux comte ; son obstination, sa morgue, comme aussi sa générosité et sa loyauté chevaleresque, en faisaient un type véritable. Mais sa haute mine inspirait plutôt la crainte que la tendresse, et il enrageait de voir les petits enfants s’enfuir devant lui.

Gaston, on le conçoit, étouffa bientôt dans cette retraite glaciale ; la vie bouillonnait en lui et le besoin d’action l’envahissait. Il dévora en quelques mois la bibliothèque de son père, et courut le pays à cheval, pour se dérober en quelque sorte à lui-même : mais un moment vint où il n’eut plus un livre à relire, et où il n’entendit plus, sans frémir, la cloche qui l’appelait à ce dîner de chaque jour, toujours le même, cérémonieux, triste, où personne n’osait ouvrir la bouche devant le maître.

Il partit pour Paris, Paris la tentation éternelle.